Le premier chantier de l’Observatoire des Littératures Sauvages a été lancé à l’occasion d’un Mandat d’Impulsion Scientifique FNRS intitulé « Tags, collages, banderoles : sociopoétique des écritures sauvages de la contestation en France (2016-2022) ».

En France, le double traumatisme provoqué par les attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015 a entraîné l’application de l’état d’urgence et de mesures sécuritaires exceptionnelles telles que des assignations à résidence, l’interdiction de manifester et la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 (dite « loi Urvoas ») octroyant davantage de libertés à la police en matière d’utilisation d’armes. C’est dans ce contexte que la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (dite « loi travail »), présentée en février 2016 et pensée dans la continuité de la loi 2015-990 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « loi Macron »), a été promulguée le 8 août de la même année sans vote et en première lecture par l’Assemblée nationale, à la faveur de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution française, qui permet au Gouvernement d’imposer l’adoption d’une loi. Dès février 2016, la présentation du projet de loi et la menace du « 49.3 » ont engendré une importante opposition de la population, traduite par des grèves et des manifestations, et par l’émergence du mouvement « Nuit debout », organisé selon les principes de la démocratie participative.

Depuis 2016 et la fin de la présidence de F. Hollande, la France ne cesse d’être animée par des mouvements contestataires : leurs revendications sont distinctes, mais se recoupent souvent, qu’ils se prononcent pour ou contre une cause.

Des manifestants avec pancartes contestatives

Pour la restauration de l’impôt de solidarité sur la fortune, contre la « loi travail », contre l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, contre la réforme des pensions, contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, contre les violences faites aux femmes, contre les violences policières ou contre le racisme...

L’ensemble de ces mouvements sont accompagnés par des pratiques artivistes (articulant art et activisme) et des écrits contestataires déployés sur des supports de fortune (tags, banderoles, pancartes, vêtements). Ce chantier est consacré à l’étude des propriétés formelles de ces écrits, de leurs conditions d’émergence et des discours sociaux qui les innervent, des logiques présidant à leur élaboration et à leur énonciation, de leurs modes de circulation et de diffusion et de la façon dont ils supportent des imaginaires de l’insurrection. Cet imaginaire peut s’appréhender à travers la prolifération de discours spontanés, parallèles, de natures diverses, qui accompagnent la parole officielle d’un mouvement social en la synthétisant par des formes accessibles et susceptibles d’assurer une large diffusion des revendications, mais aussi de rendre visibles les répressions subies par les militants. Les écritures de la contestation reposent sur une dynamique collective et anonyme autant que sur la capacité à investir des supports artisanaux ; elles favorisent l’émergence d’une parole vive, dans la logique d’un défouloir où se croisent élans lyriques, comiques et virulents.

L’appréhension de ce genre de discours a jusqu’ici été majoritairement le fait de sociologues, d’anthropologues et d’historiens, dont le concours est nécessaire dans le cadre de ce projet ; les outils du littéraire permettent quant à eux d’ouvrir des pistes novatrices sur le plan de la rhétorique des écrits de la contestation, sur celui des dynamiques intertextuelles qui les animent, sur leur rapport à l’oralité et au processus d’expérimentation, sur la question des techniques et supports, sur leur rapport à l’espace et au temps, sur la façon dont ils circulent et sur leur pérennisation potentielle. Ces différents points constituent le cœur d’une enquête centrée sur les écrits sauvages de la contestation en France, de 2016 à 2022. Ces balises chronologiques permettent de saisir un moment particulier, cohérent et évolutif, qui s’étend depuis les premières oppositions à la « loi travail » (dont E. Macron avait lui-même posé les premières fondations avant d’inviter à la réforme du code du travail dès son élection en 2017) jusqu’à la fin du premier mandat du président en fonction : les mouvements sociaux déployés depuis le terminus a quo se prononcent contre la gestion néolibérale de l’État, contre des formes de dominations systémiques et contre la répression qu’ils subissent.

Ce chantier a fait l'objet d'un colloque international et d'un dossier publié dans la collection Le Fond de l'air, sur Fabula.