Bienvenue à l'ILEE, l'Institut de la Vie, de la Terre et de l'Environnement de l'Université de Namur, qui s'engage à répondre aux questions environnementales urgentes. 

Nous réunissons une équipe d'experts issus de divers horizons et disciplines pour travailler en collaboration en utilisant des technologies innovantes et des méthodes scientifiques rigoureuses afin d'apporter des contributions significatives au domaine des sciences de l'environnement.
 

Notre institut se consacre à l'avancement de la recherche fondamentale et appliquée en vue d'une meilleure compréhension des processus sous-jacents qui régulent la vie sur terre, à la caractérisation des pressions anthropogéniques sur l'environnement et vice versa, et à la recherche d'alternatives durables pour gérer les ressources naturelles, réduire la pollution, conserver et restaurer la biodiversité. 

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Des fourmis survivent à des doses massives de rayons X : une expérience scientifique namuroise pour quantifier leur radiorésistance

Biologie
Physique
Publication

Des chercheurs des Départements de biologie et de physique de l’UNamur ont mené une expérience scientifique pour évaluer la radiorésistance de la fourmis noire commune Lasius niger. Le résultat de leurs travaux vient d’être publié dans la revue scientifique belge Belgian Journal of Zoology. Les scientifiques namurois démontrent un niveau de résistance nettement supérieur à celui de l’humain. Leur démarche spontanée montre aussi une approche moins connue de la recherche scientifique. 

Machine à rayonnement nucléaire

Elles sont partout autour de nous, elles nous fascinent depuis des siècles. Enfants, nous nous penchons sur elles pour les regarder se déplacer entre nos doigts dans nos jardins qui deviennent des jungles. Adultes, elles nous fascinent encore, déjouant les pièges que nous tentons de leur poser dans nos cuisines qu’elles envahissent toujours là où on ne s’y attend pas.

Elles, ce sont les fourmis, et plus particulièrement l’espèce Lasius niger, que nous retrouvons fréquemment dans nos jardins. 

« C’est en sortant de chez moi, un jour d’été 2022, que je me suis rendu compte qu’un phénomène discret mais bien réel avait lieu devant chez moi : les rues de mon quartier namurois étaient envahies par de jeunes reines et mâles de fourmis s’envolant pour leur unique vol nuptial. Ce vol est à l’origine de la fécondation des reines qui, une fois revenues sur terre, démarrent une colonie dans une cavité, nos murs ou même nos déchets », raconte Boris Hespeels, chercheur au sein de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Evolutive (URBE) de l’UNamur.  Après avoir collecté une centaine d’individus, le scientifique, qui mène par ailleurs des recherches sur la résistance d’autres organismes vivants dans des milieux extrêmes (les rotifères – lire notre article à ce sujet), retourne à son laboratoire avec la volonté de tester un mythe de la culture populaire : l’extrême résistance de ces insectes notamment face à de nombreux stress, tels que les radiations des bombes nucléaires.

Dans l’enthousiasme, une collaboration se forme entre des chercheurs des Départements de biologie et de physique. Après quelques réflexions, un protocole expérimental est conçu, menant à une expérience concrète, totalement encadrée et sécurisée (lire par ailleurs). Ainsi, quatre chercheurs de l’UNamur publient aujourd’hui la première étude visant à évaluer la radiorésistance des fourmis noires Lasius niger face à des doses massives de rayons X. Publiée dans la revue scientifique belge Belgian Journal of Zoology, elle révèle comment Lasius niger parvient à survivre plus de 11 semaines après avoir reçu des doses massives de rayons X (jusqu’à 250 Gray(Gy), alors que les cellules humaines ne résistent généralement pas au-delà de 10 Gy). Cependant, les chercheurs ont également découvert qu’à partir d’une certaine dose d’irradiation, les femelles étaient rendues stériles, malgré leur survie.

Les résultats ont été comparés aux quelques données précédemment obtenues lors d’expériences sur les radiations dans le cadre de la lutte contre des espèces de fourmis invasives. Si les mécanismes de protection et de réparation des dommages chez les fourmis restent encore inconnus, cette étude confirme que la radiorésistance des fourmis, ainsi que leur mode de vie souterrain, leur confèrent un statut d’espèce résistante en cas de retombées radioactives.

Une recherche scientifique hors circuit

Cette expérience a été réalisée par les chercheurs selon une approche indépendante de tout projet ou financement, expérimentant ainsi une approche dite Crash-and-Learn (« Échec et apprentissage »). Ce travail démontre les possibilités ouvertes par la réalisation de projets scientifiques en dehors des cadres préétablis, laissant une place importante à la collaboration spontanée et au plaisir non intéressé de faire de la recherche. Cette approche, complémentaire des voies traditionnelles liées aux financements et aux directives définies parfois des années avant la réalisation du projet, questionne sur le sens et la pratique du métier de chercheur.

Un cadre scientifique strict, dans le respect de la biodiversité et du vivant

La réalisation de cette expérience n'exclut en aucun cas la sensibilité des chercheurs à la préservation de la biodiversité et au respect du vivant.  Aucun dommage n'a été causé à l'écosystème local ou aux populations animales et humaines. Les fourmis utilisées dans cette étude ont été irradiées dans des conditions strictement sécurisées en laboratoire, sans risque de contamination ou de dissémination dans la nature. L'espèce utilisée, Lasius niger, est une espèce commune, et les conditions expérimentales ont été strictement limitées au laboratoire. Conformément aux principes des 3R (Réduire, Remplacer, Raffiner), le nombre d'individus exposés a été réduit au strict minimum nécessaire pour garantir des résultats scientifiques fiables. De plus, le stress des fourmis a été limité autant que possible tout au long de l'expérience, qui nécessitait l'utilisation d'individus vivants.

L’équipe de chercheurs :

  • Martin Vastrade Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 
  • Valérie Cornet Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 
  • Anne-Catherine Heuskin Laboratory of Analysis by Nuclear Reaction (LARN); Namur Research Institute for Life Sciences (NARILIS); 
  • Boris Hespeels Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 

Des scientifiques de 33 pays européens unissent leurs forces pour générer des génomes de référence de près d’une centaine d’espèces européennes

Biodiversité
Durable

Dans une nouvelle publication, l'Atlas européen du génome de référence (ERGA) annonce le succès de son projet pilote. Cette initiative pionnière a rassemblé un vaste réseau collaboratif de chercheurs et d'institutions dans 33 pays pour produire des génomes de référence de haute qualité de 98 espèces européennes. Cet effort continental ouvre la voie à un nouveau modèle de génomique de la biodiversité, inclusif et équitable. 

Projet ERGA espèces

La force de la (bio)diversité : Quelques-unes des espèces européennes sélectionnées pour le projet pilote ERGA. Photos de ©Mantonature, ©Cucu Remus, ©dadalia, ©scubaluna, ©Kristian_Nilsson, ©AlbyDeTweede, ©Carine Carnier, ©Daniel Jara de Getty Images via Canva.com 

Pour en savoir plus sur l’article publié dans la revue « npj Biodiversity » : Télécharger le communiqué de presse.  

L’UNamur fait partie de cet important projet européen dont l’ambition est de parvenir à cartographier la biodiversité européenne. Grâce au travail de la professeure Alice Dennis membre de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive. « En tentant de préserver l’ADN de l’ensemble des eucaryotes européens, ERGA participera donc à considérablement améliorer les standards de séquençage de génome un peu partout en Europe, afin d’obtenir des génomes de référence, c’est-à-dire de grande qualité. » 

Plus précisément, Alice Dennis coordonne le comité chargé d’annoter l’ADN récoltés. L’annotation, une étape cruciale et « souvent négligée. « Mon travail consiste à déterminer quelle partie de l’ADN correspond à quoi : telle séquence correspond à un gène, telle autre est une séquence de régulation, etc. », détaille Alice Dennis. « Malheureusement, c’est un travail que peu de gens savent faire, en partie en raison du fait qu’il existe peu de bons outils pour vérifier la qualité de votre travail. » 

ERGA est soutenu par Horizon Europe dans le cadre du programme Biodiversité, économie circulaire et environnement (REA.B.3, BGE 101059492). 

Logos Europe et projet ERGA

Cartographier la vie

Biologie
Durable

En 2021, l’Union européenne s’est lancée dans un chantier titanesque : sauvegarder le génome de toutes les espèces eucaryotes en Europe. Soit l’ensemble du vivant, à l’exception des bactéries et des archées (micro-organismes). Dénommé ERGA, pour European Reference Genome Atlas, et auquel participe l’UNamur grâce à la professeure Alice Dennis, ce projet espère ainsi participer à la sauvegarde de la biodiversité, alors même qu’un cinquième des espèces européennes sont en danger d'extinction.

Abeilles projet ERGA

Cet article est tiré de la rubrique "Eurêka" du magazine Omalius de juin 2024.

Dans chacune de nos cellules, compactés au cœur du noyau, se trouvent les chromosomes, siège de notre ADN. Ce dernier est composé d’une longue chaîne de molécules, chacune se nommant A, T, C ou G. Et en tout, notre génome comporte 3,4 milliards de ces “lettres”. À titre de comparaison, le roman fleuve Les Misérables de Victor Hugo ne compte “que” 2,66 millions de caractères, soit 1 000 fois moins. Et n’allez pas croire que notre code génétique soit le plus grand du vivant, loin de là ! Celui du maïs atteint les 5 milliards de lettres, et celui de la fleur Paris japonica, est 50 fois plus grand que celui de l’être humain. 

Malheureusement, peu de génomes ont été intégralement séquencés, à l’exception de celui de l’être humain et de quelques espèces. Et ce, en raison de la difficulté que cela représente. « Nous savons depuis longtemps extraire de courtes séquences ADN, correspondant par exemple à un gène », explique la professeure Alice Dennis, chercheuse à l’UNamur, à l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive. 

Alice Dennis

« Et depuis peu, avec l’évolution des techniques, nous pouvons également obtenir de longues séquences, mais seuls quelques laboratoires de pointe dans le monde sont capables de séquencer un génome dans son intégralité. La plupart des chercheurs se retrouvent donc généralement avec des codes génétiques incomplets, fragmentés en des milliers de pièces. En tentant de préserver l’ADN de l’ensemble des eucaryotes européens, ERGA participera donc à considérablement améliorer les standards de séquençage de génome un peu partout en Europe, afin d’obtenir des génomes de référence, c’est-à-dire de grande qualité. »

Génomes, vos papiers !  

Une tâche herculéenne, alors que l’Europe compte près de 200 000 espèces, dont un cinquième est menacé d’extinction en raison entre autres du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. « Il faut comprendre que de nombreuses étapes sont importantes pour l’obtention d’un seul génome », ajoute Alice Dennis. « Pour chaque espèce, il faut obtenir des échantillons biologiques de qualité, ce qui peut être difficile quand il s’agit d’une espèce rare ou menacée. Puis vient l’étape de séquençage et d’assemblage des génomes, qui consiste à agencer tous les fragments d’ADN obtenus. Et ensuite, nous pouvons passer à l’annotation, avant de procéder à l’analyse. »

L’annotation, une étape cruciale et « souvent négligée », est menée par un comité sous la responsabilité de la biologiste de l’UNamur. « Mon travail consiste à déterminer quelle partie de l’ADN correspond à quoi : telle séquence correspond à un gène, telle autre est une séquence de régulation, etc. », détaille Alice Dennis. « Malheureusement, c’est un travail que peu de gens savent faire, en partie en raison du fait qu’il existe peu de bons outils pour vérifier la qualité de votre travail. »

Selon la chercheuse, la création de génomes de référence apportera une aide précieuse à la préservation de la biodiversité en Europe. « Un seul génome apporte de nombreuses informations », estime-t-elle. « Chez la plupart des organismes, chaque chromosome est dédoublé. En les comparant, vous pouvez déjà avoir une idée de la diversité génétique d’un individu. Si celle-ci est faible, cela signifie que la population montre des signes de consanguinité. »

Les génomes de référence fonctionnent dès lors comme des pierres de Rosette pour les études futures. « Il est bien plus facile et beaucoup moins onéreux de comparer quelques séquences d’ADN de nombreux individus à un original, que de créer ce dernier », juge Alice Dennis. « Cela permet de suivre des populations, d’identifier celles qui sont le plus en danger. Nous pourrons également étudier les gènes qui sont soumis à de fortes pressions évolutionnistes, et susceptibles de muter au cours des années. »

Travail de groupe  

Au-delà d’Alice Dennis, plus de 1 000 chercheurs dans toute l’Europe participent au projet ERGA. Et ce dernier est, en réalité, la partie européenne d’un ensemble encore plus vaste, le Earth Biogenome Project, qui vise à séquencer l’intégralité du vivant sur une période de 10 ans. ERGA compte par ailleurs des membres prestigieux comme le Darwin Tree of Life, au Royaume-Uni, ou le projet ATLASEA en France, qui vise à séquencer l’ADN de la vie marine.

Mais pour Alice Dennis, l’initiative ERGA va bien plus loin que ces grands partenaires : « ERGA met un accent particulier à la création d’un réseau décentralisé, et d’une science qui se veut inclusive. Ces grands partenaires ont certes les moyens de séquencer n’importe quel génome, mais cela se ferait au détriment de pays moins bien dotés. Il existe de nombreux hotspots de biodiversité en Europe, auxquels ces grands laboratoires n’ont pas accès. Compter sur les expertises locales, et permettre à tout le monde de participer et de développer ses compétences permettra de s’assurer qu’un maximum d’espèces soient présentes dans cet Atlas. C’est aussi pour cela que toutes les données produites seront disponibles en libre accès. »

Après une première déclaration d’intention, les chercheurs à l’initiative d’ERGA ont mis sur pied un projet pilote, clôturé en 2023, et qui a permis de lever un certain nombre de difficultés. « Nous avons essayé de coordonner notre action avant même de recevoir des fonds », se souvient Alice Dennis. « Chaque pays est venu avec un ou deux organismes dont ils voulaient séquencer l’ADN, et tout a été fait grâce à un partage des moyens que chacun avait à disposition, et des dons de certaines entreprises. Cela a permis d’identifier nombre de problèmes, comme la difficulté de faire voyager des échantillons dans de bonnes conditions, afin de préserver le matériel génétique. »

Au total, cette phase de test a déjà permis d’établir 1 213 génomes de référence. Et le rythme s’accélère, notamment grâce à un financement du programme Horizon Europe de l’Union européenne. La deuxième phase du projet, qui débute cette année et qui se déroulera sur 5 ans, a pour ambition de séquencer 150 000 génomes, en mettant la priorité sur les espèces les plus menacées.

Logos Europe et projet ERGA

ERGA est soutenu par Horizon Europe dans le cadre du programme Biodiversité, économie circulaire et environnement (REA.B.3, BGE 101059492).

Cet article est tiré de la rubrique "Eurêka" du magazine Omalius #33 (Juin 2024).

Couverture Omalius#33

PFAS : « La problématique ne se limite pas à l’eau du robinet »

Biologie
Paroles d'experts

Reconnu pour son expertise en écotoxicologie, le Professeur Patrick Kestemont fait partie des experts scientifiques mandatés par la Région wallonne, pour conseiller le Gouvernement et examiner toutes les conséquences sur la santé humaine des PFAS, ces substances chimiques présentes dans notre environnement.

Patrick Kestemont

Cet article a été réalisé pour la rubrique "Expert" du magazine Omalius #32 de mars 2024.

Omalius : La présence de PFAS dans notre environnement fait la une de l’actualité : est-ce une problématique neuve ? 

Patrick Kestemont : Pas du tout, les PFAS (Produits Fluoroalkylés et Polyfluoroalkylés) existent depuis des décennies. On les appelle d’ailleurs les polluants éternels parce qu’ils ont une durée de vie extrêmement longue. Certaines catégories de PFAS sont par exemple interdites depuis plus d’une dizaine d’années mais nous en trouvons toujours des traces dans de nombreux produits de consommation, tels que les poêles antiadhésives Tefal, les tapis avec recouvrement anti-tâches, et même les extincteurs contenant de la mousse d'extinction. Ils sont également fréquemment détectés dans des zones liées à des activités militaires. La caractéristique principale des PFAS est qu’ils sont très persistants. Il s’agit en fait de substances chimiques, totalement synthétisées par l’homme, qui n’ont donc pas d’équivalent dans la nature. Ce qui les rend si résistantes, c’est la liaison entre deux atomes les composant : le carbone et le fluor. Cette liaison est extrêmement solide, difficile à casser. À la connaissance actuelle, il n’existe ainsi pas d’organisme vivant capable de biodégrader les PFAS. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres sortes de polluants qui sont plus toxiques mais moins résistants parce que des bactéries peuvent les casser. Or, ce qui est aussi dangereux pour la santé humaine, c’est l’exposition plus ou moins prolongée à une substance toxique.  

O. : Et vous alertez sur le fait que cette exposition ne se limite pas à la consommation de l’eau courante, mais qu’elle est très présente dans notre quotidien, notamment dans notre alimentation… 

P.K. : Oui en effet. Globalement, il faut rappeler que l’eau courante en Belgique est contrôlée et est de qualité. Certes, on retrouve des PFAS dans l’eau mais dans des concentrations généralement très faibles. Actuellement, c’est la norme de 100 nanogrammes par litre qui est retenue. Or, ces polluants sont en réalité présents dans l’ensemble de notre chaine alimentaire suite à des mécanismes de bioaccumulation, et dans des proportions bien plus importantes que dans l’environnement. Cela résulte du fait qu’un organisme contaminé par des PFAS va être mangé par un autre qui lui-même va être consommé : on constate alors que la présence de PFAS s’accentue à mesure que l’on progresse dans la chaîne alimentaire. Pour de nombreux aliments, les normes de tolérance des PFAS sont nettement plus élevées que pour l’eau courante : par exemple un poisson sauvage pêché dans la Meuse peut être commercialisé jusqu’à 45.000 nanogrammes de PFAS par kilo. Le lait peut contenir jusqu’à 66.000 nanogrammes de PFAS par litre. Toute notre chaine alimentaire fait bien entendu l’objet de contrôles stricts, sur base de normes bien établies. Mais il est important d’avoir conscience que cette problématique des PFAS ne se limite pas à notre consommation d’eau du robinet.  

O. : Analyser les normes existantes sera une des missions du conseil scientifique indépendant mandaté par la Région wallonne dont vous faites partie ?  

P.K. : L'objectif de ce conseil est de synthétiser les données et la littérature concernant les PFAS, en mettant l'accent sur leur composition, leurs propriétés physico-chimiques, leur présence, les sources de contamination, les niveaux de contamination, ainsi que les effets de cette contamination sur la santé. C’est un travail qui va prendre du temps. Nous sommes mandatés pour deux ans. Actuellement, une campagne de biomonitoring a été lancée, impliquant le prélèvement de sang sur des milliers de personnes, principalement dans les zones touchées par les polluants persistants. Le protocole de prélèvement a été approuvé par le Conseil scientifique, et les résultats de ces analyses seront utilisés pour évaluer l'impact sur la santé humaine et potentiellement revoir les normes européennes. 

O. : Au sein de l’UNamur, vous dirigez le laboratoire de l'URBE (Unité de Recherche en Biologie environnementale et évolutive). Quels sont vos axes de recherche ?  

P.K. : Ils portent principalement sur l'analyse des réponses physiologiques, biochimiques et moléculaires des organismes aux perturbations de l'environnement (pollutions, réchauffement climatique...), sur l'écologie moléculaire et la génétique évolutive, ainsi que sur l'écologie des communautés et des milieux aquatiques. Actuellement, nous sommes impliqués dans plusieurs projets, notamment celui sur l'écotoxicologie liée aux micros et nanoplastiques. Nous travaillons sur des techniques innovantes pour évaluer la totalité des polluants, en particulier les 4700 PAH (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques). Un autre projet en cours concerne l'étude des problèmes de contamination des eaux de surface à l'échelle des rivières, avec un accent sur la santé environnementale. Pour ces différentes recherches, nous utilisons des modèles alternatifs tels que des larves de poisson, en particulier celles du poisson zèbre. Sa taille larvaire microscopique, ses automatisations, et sa capacité à fournir des informations pertinentes au niveau comportemental, physiologique et moléculaire en font un modèle efficace. Ses réponses face aux polluants sont potentiellement transposables à l'homme, offrant une analyse complète, rapide et moins coûteuse. 

O. : Face à ces divers polluants présents dans notre environnement, l’écotoxicologie peut-elle être source d’espoir pour l’avenir ?  

P.K. : L'écotoxicologie joue en tout cas un rôle crucial dans la prise de conscience des problèmes environnementaux liés à divers polluants. Grâce à la contribution de l’écotoxicologie, l'humain a su mettre en place des régulations pour réduire les impacts environnementaux de ces polluants. Cependant, c'est un travail sans fin, car de nouvelles molécules apparaissent toujours. Mon espoir réside dans la capacité continue de la recherche à identifier, réglementer et réduire les impacts des polluants pour un environnement plus sain. 

Noëlle Joris  

CV Express

  • 1983 : Master en Sciences Biologiques - Université Catholique de Louvain 
  • Depuis 1999 : Professeur à temps plein au Département de biologie à l’UNamur 
  • Depuis 2001 : Professeur invité à l'Université de Gand  
  • Professeur invité à l'Université de Lorraine (France). 
  • Directeur de l’Unité de recherche en biologie environnementale et évolutive (URBE). 
  • Coordinateur d'un Master International de Spécialisation en Gestion des Ressources Aquatiques et Aquaculture (programme international pour les pays en développement) financé par ARES-CCD.

Omalius #32 - mars 2024

Cet article est tiré de la rubrique "Expert" du magazine Omalius#32 (mars 2024).

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Des fourmis survivent à des doses massives de rayons X : une expérience scientifique namuroise pour quantifier leur radiorésistance

Biologie
Physique
Publication

Des chercheurs des Départements de biologie et de physique de l’UNamur ont mené une expérience scientifique pour évaluer la radiorésistance de la fourmis noire commune Lasius niger. Le résultat de leurs travaux vient d’être publié dans la revue scientifique belge Belgian Journal of Zoology. Les scientifiques namurois démontrent un niveau de résistance nettement supérieur à celui de l’humain. Leur démarche spontanée montre aussi une approche moins connue de la recherche scientifique. 

Machine à rayonnement nucléaire

Elles sont partout autour de nous, elles nous fascinent depuis des siècles. Enfants, nous nous penchons sur elles pour les regarder se déplacer entre nos doigts dans nos jardins qui deviennent des jungles. Adultes, elles nous fascinent encore, déjouant les pièges que nous tentons de leur poser dans nos cuisines qu’elles envahissent toujours là où on ne s’y attend pas.

Elles, ce sont les fourmis, et plus particulièrement l’espèce Lasius niger, que nous retrouvons fréquemment dans nos jardins. 

« C’est en sortant de chez moi, un jour d’été 2022, que je me suis rendu compte qu’un phénomène discret mais bien réel avait lieu devant chez moi : les rues de mon quartier namurois étaient envahies par de jeunes reines et mâles de fourmis s’envolant pour leur unique vol nuptial. Ce vol est à l’origine de la fécondation des reines qui, une fois revenues sur terre, démarrent une colonie dans une cavité, nos murs ou même nos déchets », raconte Boris Hespeels, chercheur au sein de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Evolutive (URBE) de l’UNamur.  Après avoir collecté une centaine d’individus, le scientifique, qui mène par ailleurs des recherches sur la résistance d’autres organismes vivants dans des milieux extrêmes (les rotifères – lire notre article à ce sujet), retourne à son laboratoire avec la volonté de tester un mythe de la culture populaire : l’extrême résistance de ces insectes notamment face à de nombreux stress, tels que les radiations des bombes nucléaires.

Dans l’enthousiasme, une collaboration se forme entre des chercheurs des Départements de biologie et de physique. Après quelques réflexions, un protocole expérimental est conçu, menant à une expérience concrète, totalement encadrée et sécurisée (lire par ailleurs). Ainsi, quatre chercheurs de l’UNamur publient aujourd’hui la première étude visant à évaluer la radiorésistance des fourmis noires Lasius niger face à des doses massives de rayons X. Publiée dans la revue scientifique belge Belgian Journal of Zoology, elle révèle comment Lasius niger parvient à survivre plus de 11 semaines après avoir reçu des doses massives de rayons X (jusqu’à 250 Gray(Gy), alors que les cellules humaines ne résistent généralement pas au-delà de 10 Gy). Cependant, les chercheurs ont également découvert qu’à partir d’une certaine dose d’irradiation, les femelles étaient rendues stériles, malgré leur survie.

Les résultats ont été comparés aux quelques données précédemment obtenues lors d’expériences sur les radiations dans le cadre de la lutte contre des espèces de fourmis invasives. Si les mécanismes de protection et de réparation des dommages chez les fourmis restent encore inconnus, cette étude confirme que la radiorésistance des fourmis, ainsi que leur mode de vie souterrain, leur confèrent un statut d’espèce résistante en cas de retombées radioactives.

Une recherche scientifique hors circuit

Cette expérience a été réalisée par les chercheurs selon une approche indépendante de tout projet ou financement, expérimentant ainsi une approche dite Crash-and-Learn (« Échec et apprentissage »). Ce travail démontre les possibilités ouvertes par la réalisation de projets scientifiques en dehors des cadres préétablis, laissant une place importante à la collaboration spontanée et au plaisir non intéressé de faire de la recherche. Cette approche, complémentaire des voies traditionnelles liées aux financements et aux directives définies parfois des années avant la réalisation du projet, questionne sur le sens et la pratique du métier de chercheur.

Un cadre scientifique strict, dans le respect de la biodiversité et du vivant

La réalisation de cette expérience n'exclut en aucun cas la sensibilité des chercheurs à la préservation de la biodiversité et au respect du vivant.  Aucun dommage n'a été causé à l'écosystème local ou aux populations animales et humaines. Les fourmis utilisées dans cette étude ont été irradiées dans des conditions strictement sécurisées en laboratoire, sans risque de contamination ou de dissémination dans la nature. L'espèce utilisée, Lasius niger, est une espèce commune, et les conditions expérimentales ont été strictement limitées au laboratoire. Conformément aux principes des 3R (Réduire, Remplacer, Raffiner), le nombre d'individus exposés a été réduit au strict minimum nécessaire pour garantir des résultats scientifiques fiables. De plus, le stress des fourmis a été limité autant que possible tout au long de l'expérience, qui nécessitait l'utilisation d'individus vivants.

L’équipe de chercheurs :

  • Martin Vastrade Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 
  • Valérie Cornet Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 
  • Anne-Catherine Heuskin Laboratory of Analysis by Nuclear Reaction (LARN); Namur Research Institute for Life Sciences (NARILIS); 
  • Boris Hespeels Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 

Des scientifiques de 33 pays européens unissent leurs forces pour générer des génomes de référence de près d’une centaine d’espèces européennes

Biodiversité
Durable

Dans une nouvelle publication, l'Atlas européen du génome de référence (ERGA) annonce le succès de son projet pilote. Cette initiative pionnière a rassemblé un vaste réseau collaboratif de chercheurs et d'institutions dans 33 pays pour produire des génomes de référence de haute qualité de 98 espèces européennes. Cet effort continental ouvre la voie à un nouveau modèle de génomique de la biodiversité, inclusif et équitable. 

Projet ERGA espèces

La force de la (bio)diversité : Quelques-unes des espèces européennes sélectionnées pour le projet pilote ERGA. Photos de ©Mantonature, ©Cucu Remus, ©dadalia, ©scubaluna, ©Kristian_Nilsson, ©AlbyDeTweede, ©Carine Carnier, ©Daniel Jara de Getty Images via Canva.com 

Pour en savoir plus sur l’article publié dans la revue « npj Biodiversity » : Télécharger le communiqué de presse.  

L’UNamur fait partie de cet important projet européen dont l’ambition est de parvenir à cartographier la biodiversité européenne. Grâce au travail de la professeure Alice Dennis membre de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive. « En tentant de préserver l’ADN de l’ensemble des eucaryotes européens, ERGA participera donc à considérablement améliorer les standards de séquençage de génome un peu partout en Europe, afin d’obtenir des génomes de référence, c’est-à-dire de grande qualité. » 

Plus précisément, Alice Dennis coordonne le comité chargé d’annoter l’ADN récoltés. L’annotation, une étape cruciale et « souvent négligée. « Mon travail consiste à déterminer quelle partie de l’ADN correspond à quoi : telle séquence correspond à un gène, telle autre est une séquence de régulation, etc. », détaille Alice Dennis. « Malheureusement, c’est un travail que peu de gens savent faire, en partie en raison du fait qu’il existe peu de bons outils pour vérifier la qualité de votre travail. » 

ERGA est soutenu par Horizon Europe dans le cadre du programme Biodiversité, économie circulaire et environnement (REA.B.3, BGE 101059492). 

Logos Europe et projet ERGA

Cartographier la vie

Biologie
Durable

En 2021, l’Union européenne s’est lancée dans un chantier titanesque : sauvegarder le génome de toutes les espèces eucaryotes en Europe. Soit l’ensemble du vivant, à l’exception des bactéries et des archées (micro-organismes). Dénommé ERGA, pour European Reference Genome Atlas, et auquel participe l’UNamur grâce à la professeure Alice Dennis, ce projet espère ainsi participer à la sauvegarde de la biodiversité, alors même qu’un cinquième des espèces européennes sont en danger d'extinction.

Abeilles projet ERGA

Cet article est tiré de la rubrique "Eurêka" du magazine Omalius de juin 2024.

Dans chacune de nos cellules, compactés au cœur du noyau, se trouvent les chromosomes, siège de notre ADN. Ce dernier est composé d’une longue chaîne de molécules, chacune se nommant A, T, C ou G. Et en tout, notre génome comporte 3,4 milliards de ces “lettres”. À titre de comparaison, le roman fleuve Les Misérables de Victor Hugo ne compte “que” 2,66 millions de caractères, soit 1 000 fois moins. Et n’allez pas croire que notre code génétique soit le plus grand du vivant, loin de là ! Celui du maïs atteint les 5 milliards de lettres, et celui de la fleur Paris japonica, est 50 fois plus grand que celui de l’être humain. 

Malheureusement, peu de génomes ont été intégralement séquencés, à l’exception de celui de l’être humain et de quelques espèces. Et ce, en raison de la difficulté que cela représente. « Nous savons depuis longtemps extraire de courtes séquences ADN, correspondant par exemple à un gène », explique la professeure Alice Dennis, chercheuse à l’UNamur, à l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive. 

Alice Dennis

« Et depuis peu, avec l’évolution des techniques, nous pouvons également obtenir de longues séquences, mais seuls quelques laboratoires de pointe dans le monde sont capables de séquencer un génome dans son intégralité. La plupart des chercheurs se retrouvent donc généralement avec des codes génétiques incomplets, fragmentés en des milliers de pièces. En tentant de préserver l’ADN de l’ensemble des eucaryotes européens, ERGA participera donc à considérablement améliorer les standards de séquençage de génome un peu partout en Europe, afin d’obtenir des génomes de référence, c’est-à-dire de grande qualité. »

Génomes, vos papiers !  

Une tâche herculéenne, alors que l’Europe compte près de 200 000 espèces, dont un cinquième est menacé d’extinction en raison entre autres du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. « Il faut comprendre que de nombreuses étapes sont importantes pour l’obtention d’un seul génome », ajoute Alice Dennis. « Pour chaque espèce, il faut obtenir des échantillons biologiques de qualité, ce qui peut être difficile quand il s’agit d’une espèce rare ou menacée. Puis vient l’étape de séquençage et d’assemblage des génomes, qui consiste à agencer tous les fragments d’ADN obtenus. Et ensuite, nous pouvons passer à l’annotation, avant de procéder à l’analyse. »

L’annotation, une étape cruciale et « souvent négligée », est menée par un comité sous la responsabilité de la biologiste de l’UNamur. « Mon travail consiste à déterminer quelle partie de l’ADN correspond à quoi : telle séquence correspond à un gène, telle autre est une séquence de régulation, etc. », détaille Alice Dennis. « Malheureusement, c’est un travail que peu de gens savent faire, en partie en raison du fait qu’il existe peu de bons outils pour vérifier la qualité de votre travail. »

Selon la chercheuse, la création de génomes de référence apportera une aide précieuse à la préservation de la biodiversité en Europe. « Un seul génome apporte de nombreuses informations », estime-t-elle. « Chez la plupart des organismes, chaque chromosome est dédoublé. En les comparant, vous pouvez déjà avoir une idée de la diversité génétique d’un individu. Si celle-ci est faible, cela signifie que la population montre des signes de consanguinité. »

Les génomes de référence fonctionnent dès lors comme des pierres de Rosette pour les études futures. « Il est bien plus facile et beaucoup moins onéreux de comparer quelques séquences d’ADN de nombreux individus à un original, que de créer ce dernier », juge Alice Dennis. « Cela permet de suivre des populations, d’identifier celles qui sont le plus en danger. Nous pourrons également étudier les gènes qui sont soumis à de fortes pressions évolutionnistes, et susceptibles de muter au cours des années. »

Travail de groupe  

Au-delà d’Alice Dennis, plus de 1 000 chercheurs dans toute l’Europe participent au projet ERGA. Et ce dernier est, en réalité, la partie européenne d’un ensemble encore plus vaste, le Earth Biogenome Project, qui vise à séquencer l’intégralité du vivant sur une période de 10 ans. ERGA compte par ailleurs des membres prestigieux comme le Darwin Tree of Life, au Royaume-Uni, ou le projet ATLASEA en France, qui vise à séquencer l’ADN de la vie marine.

Mais pour Alice Dennis, l’initiative ERGA va bien plus loin que ces grands partenaires : « ERGA met un accent particulier à la création d’un réseau décentralisé, et d’une science qui se veut inclusive. Ces grands partenaires ont certes les moyens de séquencer n’importe quel génome, mais cela se ferait au détriment de pays moins bien dotés. Il existe de nombreux hotspots de biodiversité en Europe, auxquels ces grands laboratoires n’ont pas accès. Compter sur les expertises locales, et permettre à tout le monde de participer et de développer ses compétences permettra de s’assurer qu’un maximum d’espèces soient présentes dans cet Atlas. C’est aussi pour cela que toutes les données produites seront disponibles en libre accès. »

Après une première déclaration d’intention, les chercheurs à l’initiative d’ERGA ont mis sur pied un projet pilote, clôturé en 2023, et qui a permis de lever un certain nombre de difficultés. « Nous avons essayé de coordonner notre action avant même de recevoir des fonds », se souvient Alice Dennis. « Chaque pays est venu avec un ou deux organismes dont ils voulaient séquencer l’ADN, et tout a été fait grâce à un partage des moyens que chacun avait à disposition, et des dons de certaines entreprises. Cela a permis d’identifier nombre de problèmes, comme la difficulté de faire voyager des échantillons dans de bonnes conditions, afin de préserver le matériel génétique. »

Au total, cette phase de test a déjà permis d’établir 1 213 génomes de référence. Et le rythme s’accélère, notamment grâce à un financement du programme Horizon Europe de l’Union européenne. La deuxième phase du projet, qui débute cette année et qui se déroulera sur 5 ans, a pour ambition de séquencer 150 000 génomes, en mettant la priorité sur les espèces les plus menacées.

Logos Europe et projet ERGA

ERGA est soutenu par Horizon Europe dans le cadre du programme Biodiversité, économie circulaire et environnement (REA.B.3, BGE 101059492).

Cet article est tiré de la rubrique "Eurêka" du magazine Omalius #33 (Juin 2024).

Couverture Omalius#33

PFAS : « La problématique ne se limite pas à l’eau du robinet »

Biologie
Paroles d'experts

Reconnu pour son expertise en écotoxicologie, le Professeur Patrick Kestemont fait partie des experts scientifiques mandatés par la Région wallonne, pour conseiller le Gouvernement et examiner toutes les conséquences sur la santé humaine des PFAS, ces substances chimiques présentes dans notre environnement.

Patrick Kestemont

Cet article a été réalisé pour la rubrique "Expert" du magazine Omalius #32 de mars 2024.

Omalius : La présence de PFAS dans notre environnement fait la une de l’actualité : est-ce une problématique neuve ? 

Patrick Kestemont : Pas du tout, les PFAS (Produits Fluoroalkylés et Polyfluoroalkylés) existent depuis des décennies. On les appelle d’ailleurs les polluants éternels parce qu’ils ont une durée de vie extrêmement longue. Certaines catégories de PFAS sont par exemple interdites depuis plus d’une dizaine d’années mais nous en trouvons toujours des traces dans de nombreux produits de consommation, tels que les poêles antiadhésives Tefal, les tapis avec recouvrement anti-tâches, et même les extincteurs contenant de la mousse d'extinction. Ils sont également fréquemment détectés dans des zones liées à des activités militaires. La caractéristique principale des PFAS est qu’ils sont très persistants. Il s’agit en fait de substances chimiques, totalement synthétisées par l’homme, qui n’ont donc pas d’équivalent dans la nature. Ce qui les rend si résistantes, c’est la liaison entre deux atomes les composant : le carbone et le fluor. Cette liaison est extrêmement solide, difficile à casser. À la connaissance actuelle, il n’existe ainsi pas d’organisme vivant capable de biodégrader les PFAS. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres sortes de polluants qui sont plus toxiques mais moins résistants parce que des bactéries peuvent les casser. Or, ce qui est aussi dangereux pour la santé humaine, c’est l’exposition plus ou moins prolongée à une substance toxique.  

O. : Et vous alertez sur le fait que cette exposition ne se limite pas à la consommation de l’eau courante, mais qu’elle est très présente dans notre quotidien, notamment dans notre alimentation… 

P.K. : Oui en effet. Globalement, il faut rappeler que l’eau courante en Belgique est contrôlée et est de qualité. Certes, on retrouve des PFAS dans l’eau mais dans des concentrations généralement très faibles. Actuellement, c’est la norme de 100 nanogrammes par litre qui est retenue. Or, ces polluants sont en réalité présents dans l’ensemble de notre chaine alimentaire suite à des mécanismes de bioaccumulation, et dans des proportions bien plus importantes que dans l’environnement. Cela résulte du fait qu’un organisme contaminé par des PFAS va être mangé par un autre qui lui-même va être consommé : on constate alors que la présence de PFAS s’accentue à mesure que l’on progresse dans la chaîne alimentaire. Pour de nombreux aliments, les normes de tolérance des PFAS sont nettement plus élevées que pour l’eau courante : par exemple un poisson sauvage pêché dans la Meuse peut être commercialisé jusqu’à 45.000 nanogrammes de PFAS par kilo. Le lait peut contenir jusqu’à 66.000 nanogrammes de PFAS par litre. Toute notre chaine alimentaire fait bien entendu l’objet de contrôles stricts, sur base de normes bien établies. Mais il est important d’avoir conscience que cette problématique des PFAS ne se limite pas à notre consommation d’eau du robinet.  

O. : Analyser les normes existantes sera une des missions du conseil scientifique indépendant mandaté par la Région wallonne dont vous faites partie ?  

P.K. : L'objectif de ce conseil est de synthétiser les données et la littérature concernant les PFAS, en mettant l'accent sur leur composition, leurs propriétés physico-chimiques, leur présence, les sources de contamination, les niveaux de contamination, ainsi que les effets de cette contamination sur la santé. C’est un travail qui va prendre du temps. Nous sommes mandatés pour deux ans. Actuellement, une campagne de biomonitoring a été lancée, impliquant le prélèvement de sang sur des milliers de personnes, principalement dans les zones touchées par les polluants persistants. Le protocole de prélèvement a été approuvé par le Conseil scientifique, et les résultats de ces analyses seront utilisés pour évaluer l'impact sur la santé humaine et potentiellement revoir les normes européennes. 

O. : Au sein de l’UNamur, vous dirigez le laboratoire de l'URBE (Unité de Recherche en Biologie environnementale et évolutive). Quels sont vos axes de recherche ?  

P.K. : Ils portent principalement sur l'analyse des réponses physiologiques, biochimiques et moléculaires des organismes aux perturbations de l'environnement (pollutions, réchauffement climatique...), sur l'écologie moléculaire et la génétique évolutive, ainsi que sur l'écologie des communautés et des milieux aquatiques. Actuellement, nous sommes impliqués dans plusieurs projets, notamment celui sur l'écotoxicologie liée aux micros et nanoplastiques. Nous travaillons sur des techniques innovantes pour évaluer la totalité des polluants, en particulier les 4700 PAH (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques). Un autre projet en cours concerne l'étude des problèmes de contamination des eaux de surface à l'échelle des rivières, avec un accent sur la santé environnementale. Pour ces différentes recherches, nous utilisons des modèles alternatifs tels que des larves de poisson, en particulier celles du poisson zèbre. Sa taille larvaire microscopique, ses automatisations, et sa capacité à fournir des informations pertinentes au niveau comportemental, physiologique et moléculaire en font un modèle efficace. Ses réponses face aux polluants sont potentiellement transposables à l'homme, offrant une analyse complète, rapide et moins coûteuse. 

O. : Face à ces divers polluants présents dans notre environnement, l’écotoxicologie peut-elle être source d’espoir pour l’avenir ?  

P.K. : L'écotoxicologie joue en tout cas un rôle crucial dans la prise de conscience des problèmes environnementaux liés à divers polluants. Grâce à la contribution de l’écotoxicologie, l'humain a su mettre en place des régulations pour réduire les impacts environnementaux de ces polluants. Cependant, c'est un travail sans fin, car de nouvelles molécules apparaissent toujours. Mon espoir réside dans la capacité continue de la recherche à identifier, réglementer et réduire les impacts des polluants pour un environnement plus sain. 

Noëlle Joris  

CV Express

  • 1983 : Master en Sciences Biologiques - Université Catholique de Louvain 
  • Depuis 1999 : Professeur à temps plein au Département de biologie à l’UNamur 
  • Depuis 2001 : Professeur invité à l'Université de Gand  
  • Professeur invité à l'Université de Lorraine (France). 
  • Directeur de l’Unité de recherche en biologie environnementale et évolutive (URBE). 
  • Coordinateur d'un Master International de Spécialisation en Gestion des Ressources Aquatiques et Aquaculture (programme international pour les pays en développement) financé par ARES-CCD.

Omalius #32 - mars 2024

Cet article est tiré de la rubrique "Expert" du magazine Omalius#32 (mars 2024).

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The SFMBBM (Structure and Function of Biological Macromolecules, Bioinformatics, and Modelling) FNRS Graduate School is pleased to invite you to its annual One-Day Symposium, which is specially dedicated for PhD students. The 2024 edition will be held at the University of Namur. 

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This event will be the perfect opportunity not only to discover the latest advances in the field of biological macromolecules research, but also to share knowledge, collaborate, as well as to showcase the outstanding work of PhD students. 

PhD students are encouraged to submit an abstract for an oral presentation and/or poster. Five talks will be selected on the basis of received abstracts and added to the final programme. Prizes will be awarded for the best oral presentation and the best poster at the end of the event.

 

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