Quel est votre parcours et comment êtes-vous devenue lanceuse d’alerte ?

J'ai travaillé à l'ONU pendant 10 ans, où j'ai occupé le poste d'enquêtrice au sein du bureau de l'inspecteur général. C'est à ce poste que j'ai découvert que les règles et les règlements n'étaient pas respectés et que certaines enquêtes étaient influencées par des considérations politiques. Cette situation est devenue évidente lorsque j'ai enquêté sur le viol d'une réfugiée par un membre du personnel. En 2003, les Nations Unies avaient publié des directives stipulant que les enquêtes devaient être menées de manière correcte et approfondie pour éradiquer les abus sexuels, mais j'ai constaté que certaines personnes au sein de l'organisation modifiaient les enquêtes. J’ai signalé ces problèmes à mes supérieurs. Bien que beaucoup aient initialement été d'accord avec moi, la situation s'est détériorée, de plus en plus d'erreurs étant commises au travail. Considérée comme un risque, j'ai été licenciée du jour au lendemain, ce qui m'a fait entrer dans la catégorie des lanceurs d'alerte. Personne ne prévoit de devenir lanceur d'alerte, mais on se retrouve souvent dans cette situation de manière inattendue.

Comment définiriez-vous un lanceur d'alerte et quelle est leur importance pour la société ?

Il n'existe pas de définition universelle d'un lanceur d'alerte, bien que plusieurs définitions soient proposées dans la littérature. Généralement, un lanceur d'alerte est une personne employée ou en relation avec un employeur, qui découvre et signale une forme de corruption, de mauvaise conduite, ou une infraction aux règles (fraude, abus de pouvoir…). Dans certains environnements professionnels, comme les Nations Unies où j'ai travaillé, il est obligatoire de signaler de telles anomalies. Toutefois, il est primordial de s'assurer que le signalement peut être fait en toute sécurité, car la sécurité de l'environnement où le rapport est fait est cruciale.

Existe-t-il différents types de lanceurs d'alerte et différentes façons de procéder ?

Oui, il existe différents types de lanceurs d'alerte et diverses façons d'agir. La recherche sur ce sujet se développe rapidement. Il existe d’ailleurs un réseau international de chercheurs sur les lanceurs d'alerte, réunissant 200 à 300 experts. Le nombre de lanceurs d'alerte augmente continuellement. On distingue notamment des lanceurs d'alerte internes et externes. Il existe plusieurs catégories, et la classification peut varier en fonction de l'analyse sémantique et de la littérature sur le sujet.

Quel est l'état actuel de la protection des lanceurs d'alerte en Europe et en Belgique ?

En Europe, et plus particulièrement en Belgique, la protection des lanceurs d'alerte a été améliorée grâce à la directive européenne adoptée en 2019. La Belgique a fait un excellent travail en transposant cette directive à la fin de l'année dernière, ce qui représente une avancée significative. Certaines cultures et pays valorisent davantage la prise de parole. Par exemple, aux États-Unis, la culture de la prise de parole est plus développée et il est probablement moins dangereux d'être un lanceur d'alerte comparé aux Nations Unies, où la protection théorique est difficile à obtenir en pratique.

La directive européenne a sensibilisé l'ensemble de l'Europe à l'importance des lanceurs d'alerte, car ils sont souvent les premiers à identifier la corruption, bien plus efficacement qu'un auditeur externe ou tout autre type de contrôle.

Cependant, des problèmes persistent, notamment lorsque les personnes impliquées dans des actes de corruption occupent des postes très élevés. La protection des lanceurs d'alerte est difficile à mettre en œuvre, surtout dans les petites entreprises où il est compliqué de garantir l'anonymat et l'indépendance nécessaires. De plus, aucune loi ne peut totalement protéger les lanceurs d'alerte de l'exclusion sociale, qui reste l'un des pires aspects qu'ils peuvent subir.

Comment les lanceurs d'alerte peuvent-ils promouvoir l'éthique et la responsabilité au sein des entreprises ?

Ils peuvent grandement contribuer à l'éthique et à la responsabilité des entreprises, surtout si l'entreprise valorise l'ouverture et la transparence. J’ai été agréablement surprise d’échanger avec certains vice-recteurs de l’UNamur et de constater une telle ouverture sur le sujet. La volonté d’encourager la possibilité de s’exprimer est bien présente. Il faut maintenant sensibiliser les employés et les étudiants sur la procédure et les lieux pour signaler des problèmes. Mais c’est un phénomène très courant dans beaucoup d’entreprises, les gens ne savent souvent pas où se rendre pour en parler.

Lorsque les employés et les étudiants se sentent libres de s'exprimer, ils sont plus enclins à signaler des comportements inappropriés. Un environnement de travail sain favorise une culture de communication ouverte où il n'est pas nécessaire d'avoir des lanceurs d'alerte. Idéalement, les employés devraient pouvoir signaler des comportements inappropriés directement. Cela permettrait à chacun de réfléchir à son propre comportement et à la manière de communiquer de manière respectueuse et constructive. Plutôt que de juger, il s'agit de donner des retours d'expérience. Encourager la communication ouverte et la remise en question constructive peut aider à créer un environnement où les lanceurs d'alerte sont moins nécessaires et où l'éthique et la responsabilité sont intégrées à la culture de l'entreprise.

Quels sont les avantages pour les entreprises de mettre en place des systèmes de protection pour les lanceurs d'alerte ?

L'objectif est d'éveiller les consciences sur le lieu de travail. Cela permet de favoriser le bien-être de l'entreprise et amène à réfléchir aux déséquilibres de pouvoir au sein de l'organisation, ce qui est particulièrement pertinent dans des institutions anciennes comme les universités.

Par exemple, les relations entre les doctorants et leurs directeurs de thèse peuvent être marquées par des abus de pouvoir. Les jeunes étudiants sont souvent plus vulnérables aux avances inappropriées de leurs superviseurs, et comme nous avons pu le constater avec le mouvement Me Too, beaucoup ne dénoncent pas ces comportements par peur de nuire à leur carrière.

Mettre en place un système de protection des lanceurs d'alerte peut ainsi aider à créer un environnement de travail plus juste et éthique, encourageant les employés à signaler les comportements inappropriés sans crainte de représailles. Cela améliore non seulement la culture de l'entreprise, mais prévient aussi des abus et maintient l'intégrité institutionnelle.

Comment les entreprises peuvent-elles mieux gérer les révélations faites par les lanceurs d'alerte ?

C’est un défi complexe. La confidentialité peut être maintenue jusqu'à un certain point, mais l'anonymat est souvent compromis lorsque la direction doit intervenir. Cela crée une difficulté majeure, car les individus, qu'ils soient enseignants, professeurs ou étudiants, subissent déjà beaucoup de stress et n'ont pas envie d'en ajouter. La gestion de ces divulgations constitue une charge supplémentaire et beaucoup préfèrent éviter d’être jugés ou contrarier leurs collègues. Cette réticence est compréhensible, mais regrettable, car elle empêche l'amélioration. Bien que certaines personnes soient ouvertes aux retours, de nombreux individus, surtout les plus âgés et ancrés dans la tradition académique, ne sont pas prêts à les recevoir.

Enseigner les langues

C’est dans le cadre du Fil Rouge de la Faculté de droit, sur la thématique du harcèlement, que Aude Hansel, professeure d’anglais au Département des langues vivantes de l’UNamur, recevait Caroline Hunt-Matthes. Dans son cours « English for legal professionals », elle souhaitait sensibiliser ses étudiants de deuxième année à ce sujet qui lui tient à cœur, en abordant la question des lanceurs d’alertes.

 « Ce qui est formidable avec les cours de langues, c'est que nous pouvons adopter une approche très transversale », se réjouit Aude Hansel. « Nous nous spécialisons dans la discipline tout en construisant des ponts avec les autres matières, ce qui suscite beaucoup d'intérêt chez les étudiants. Pour traiter cette thématique, j’avais envie d’inviter un "native speaker". Caroline a accepté de venir rencontrer nos étudiants. Je leur ai donc expliqué toute l'histoire de la thématique, je leur ai présenté une biographie de Caroline Hunt-Matthes et je leur ai fourni le vocabulaire nécessaire. Nous avons préparé des questions en classe sur le sujet, ils étaient vraiment prêts à participer à cette conférence ».

Le jour-j, Amélie Lachapelle, chargée de cours en Faculté de droit et spécialiste des lanceurs d’alerte, a introduit la conférence en rappelant aux étudiants le contexte juridique. Ils ont ensuite pu échanger avec Caroline Hunt-Matthes, en lui posant leurs questions.

Pour aller plus loin

L’article « Lanceurs d’alerte, vers un cercle vertueux » avec l’intervention d’Amélie Lachapelle, Chargée de cours en Faculté de droit, chercheuse au Centre de recherche CRIDS et spécialiste des lanceurs d’alerte auxquels elle a consacré sa thèse de doctorat (2020).

Caroline Hunt-Matthes est l’auteure du livre “Whistleblowing and Retaliation in the United Nations”, qui sortira en été 2024.