« Honneur aux Hérauts », c'était le thème choisi pour la rentrée académique et la remise des insignes de Doctorats Honoris Causa à quatre personnalités engagées qui à travers leur art, leur métier, ou leur vocation, à la manière de ces messagers héroïques du Moyen-Âge, portent haut la voix de ceux à qui la parole est déniée.  

Lisez ci-dessous le discours prononcé par la Rectrice de l'UNamur, Annick Castiaux, lors de la clôture de la cérémonie officielle de rentrée académique du 30 septembre 2024.

Mesdames et messieurs en vos titres et qualités,

Chers étudiants, chers collègues,

Chers amis de l’Université de Namur,

Je tiens d’abord à vous remercier de votre présence, nombreuse et chaleureuse. Il me revient de clôturer cette belle cérémonie. Et je suis donc tout ce qui vous sépare du moment de convivialité qui nous attend. Mais j’aimerais vous retenir encore quelques minutes pour vous partager ce que nos nouveaux docteurs honoris causa m’inspirent pour l’université.

Anniack Castiaux, Rectrice de l'Unamur prononce son discours 2024

Nos nouveaux doctorats honoris causa (dans notre langage, DHC) sont des lanceurs d'alerte, des hérauts, comme nous les avons appelés, qui, convaincus de l'importance du message qu’ils détiennent, n'hésitent pas à mettre leur sécurité, leur confort, leur réputation en danger pour le faire entendre. Le combat des lanceurs d'alerte, bien que popularisé récemment, n’est pas nouveau. Ceci m'a rappelé quelques mythes ou allégories antiques. J’espère que mes collègues de la Faculté de philosophie et lettres me pardonneront mes éventuelles approximations. Vous souvenez-vous de Phidippidès, cet hémérodrome qui, selon Hérodote, aurait parcouru plus de 250 km en 36 heures pour solliciter l’aide de Sparte de la part des Athéniens en difficulté face aux Perses lors de la 1ère guerre médique ? Les Spartiates ne répondirent pas à son appel, trop pris par leurs occupations domestiques, ce qui n’empêcha pas les Athéniens de sortir vainqueurs de la bataille. Et de Cassandre, fille de Priam, roi de Troie, capable de prédire l’avenir ? Elle tente d’avertir ses compatriotes du danger que représente le fameux cheval offert par les Grecs, mais les Troyens ne la croient pas. La suite est moins glorieuse pour les Troyens que pour les Athéniens puisque ce cheval causera leur perte. Ou encore, l’allégorie de la Caverne, de Platon ? Celui-ci imagine qu’un des habitants s’échappe de la caverne et découvre le monde de la lumière (c’est-à-dire de la connaissance). Puis, courageusement, cet évadé retourne dans la caverne pour avertir ses anciens compagnons de la beauté du monde extérieur. Platon s’interroge sur la réaction des habitants de la caverne à cette nouvelle. Il imagine que le messager serait bien mal reçu, peut-être même tué par ses anciens compagnons, incapables de le comprendre, trop effrayés par une vérité qui les dépasse.

Ces mythes antiques mettent en évidence les multiples difficultés qu’affrontent les messagers : difficulté de la découverte, comme l’habitant de la caverne qui découvre le monde extérieur dans la souffrance, ses yeux étant éblouis par la lumière, son cerveau ayant du mal à comprendre cette nouvelle réalité ; difficulté de porter le message, comme l’hémérodrome qui souffre physiquement pour solliciter l’aide de Sparte ; difficulté de se faire entendre, comme Cassandre que l’on ne croit jamais ; difficulté de ne pas être entendu, à cause de l’indifférence, de l’ignorance ou de la peur.

En tant qu’université, notre rôle est de lutter contre les causes de cette surdité qui est encore trop souvent la nôtre face aux mauvaises nouvelles, face aux situations inconfortables. La recherche scientifique, grâce à ses méthodes rigoureuses et à son sens critique, est une force pour mettre au jour des faits incontestables qu’il est nécessaire d’oser regarder dans leur brutalité, parfois. La brutalité des faits du changement climatique, la brutalité des faits de la migration, la brutalité des faits de la pauvreté… Nous avons les outils pour lutter contre l’ignorance. Encore faut-il dépasser la peur et l’indifférence. En 1976, l’Université de Namur fondait la FUCID (Forum Universitaire pour la Coopération Internationale au Développement). Depuis, la FUCID a évolué dans ses missions, passant de la coopération internationale à l’éducation permanente pour nous accompagner dans la formation d’acteurs responsables et engagés. Depuis plusieurs années, nous avons mis en place des pédagogies actives, qui permettent aux étudiantes et étudiants de mettre en œuvre les connaissances et compétences que nous leur transmettons dans la réalité parfois difficile du monde qui nous entoure. Nous soutenons aussi les activités pluridisciplinaires qui contribuent à la compréhension de l’autre. Je pense au lancement, cette année, des Journées d’Education au Développement Durable et à la Transition Ecologique, 3 journées pour tous les étudiants de 3ème bachelier, ensemble, en dialogue entre eux et avec les acteurs extérieurs. Ou encore à l’hackathon organisé depuis plusieurs années par les étudiants de la Faculté d’informatique, avec le soutien de leurs professeurs. La thématique de cette année : le handicap. Et en 2025 : la culture, ce qui sera précieux dans le cadre du dossier de Namur, Capitale Européenne de la Culture. Ou encore au 3ème fil rouge qui anime tous les programmes de la Faculté de droit, cette fois sur la thématique de l’inclusion. Les projets futurs sont également nombreux, comme ce master en sciences du développement durable en Faculté des sciences, interdisciplinaire, que nous avons proposé comme nouvelle habilitation. Autant d’initiatives qui nous permettent à toutes et tous, enseignants, étudiants, de dépasser nos peurs et notre indifférence, de construire de nouvelles connaissances, pour être au service des grands défis de la société.

En faisons-nous assez, cependant ? Depuis quelque temps, les universitaires ont été incités à sortir de leur position parfois en retrait de chercheurs et de chercheuses habitués à aller au bout de leur investigation avant de faire quelque déclaration que ce soit. Ceci a été tout particulièrement le cas durant la crise sanitaire où nombre de nos collègues sont sortis de leur réserve pour informer, convaincre, aider à dépasser la crise. 

Epitoges des DHC 2024

La plupart d'entre eux ont su conserver une position ancrée dans leurs compétences scientifiques, mais ce n'est pas facile quand vous êtes face à un journaliste qui veut absolument une réponse. Je me rappelle une interview tout au début de mon mandat où l'on m'a demandé mon avis sur le voile et l'islam politique... Je me rappelle m’en être sortie avec une pirouette, mais avec un énorme malaise et le sentiment d’avoir été piégée, contrainte à donner une opinion sur une matière que je ne maitrisais pas. L’an dernier, le monde universitaire a été secoué par les manifestations étudiantes concernant le conflit au Moyen-Orient. L’université est le lieu de l’expression libre des opinions, de l’indignation. Face aux atrocités vécues par les populations soumises au conflit, on ne peut être indifférent. Mais la manière dont ces manifestations se sont tenues dans certaines universités belges, françaises ou américaines pose problème. Nulle question de dialogue, de débat contradictoire, d’échanges favorisant l’émergence de la connaissance. Les manifestants ont adopté un positionnement dogmatique sans aucune intention d’entendre la réalité de nos universités ou de laisser place au débat. Ils ont même remis en question la liberté de chercher, de collaborer avec les meilleurs dans cette recherche, de contribuer au développement de la connaissance justement là où cela s’avère le plus nécessaire. Ils ont accusé violemment les autorités universitaires de complicité avec l’Etat israélien, de génocide… 

A l’UNamur, nous avons été peu soumis à cette violence tout en étant solidaires des autres universités qui vivaient des instants compliqués. Le CREF, conseil des rectrices et recteurs francophones, a affirmé dans ce contexte comme dans beaucoup d’autres, de plus en plus nombreux, son union et sa solidarité. Quelques manifestations ont eu lieu sur le campus, tout à fait légitimes, organisées avec notre soutien dans le respect de toutes les parties. Certains diront que c'est parce que les étudiants de l'UNamur sont gentils...C'est vrai, nos étudiantes et étudiants sont gentils et respectueux, mais ce n'est pas que cela. Nous avons la chance de pouvoir compter, grâce à notre taille modeste, sur des relations de proximité avec toutes les associations étudiantes, que nous avons d’ailleurs décidé depuis deux ans de reconnaitre dans leur grande diversité, permettant ainsi d’établir avec elles un dialogue structurel. Ceci favorise l’échange et la construction à l’interface entre différentes tendances ou perceptions. C’est aussi le rôle de l’université : être un lieu de liberté d’opinion favorisant la conversation, au bénéfice de la construction de la vérité. 

Dénoncer les injustices, c’est important, mais comment transformer le message en action. Nos 4 docteurs honoris causa, le Père Pedro Opeka, Zeina Abirached, Bouli Lanners et Bob Rugurika, ne se contentent pas de lancer des alertes, des messages, de partager une vision du monde. Ils s’impliquent aussi dans la construction du monde de demain. Ils aident à progresser vers plus de justice sociale et environnementale. 

Cérémonie de rentrée académique 2024
De gauche à droite : Cédric Visart de Bocarmé, Annick Castiaux et 3 des quatre DHC 2024 : Zeina Abirached, Bouli Lanners et Bob Rugurika.

Qu’en est-il des universités ? Qu’en est-il de notre université ? En 1973 déjà, Pedro Arrupe interpellait les institutions d’enseignement jésuites concernant leur capacité à éduquer à la justice. Particulièrement sensible au sort des marginalisés de notre monde, notamment des réfugiés (que nous tentons d’accueillir au mieux comme université hospitalière), il faisait le constat d’une carence en la matière et demandait de « garantir que, dans le futur, l’éducation dispensée dans les institutions jésuites soit égale aux demandes de justice dans le monde (1) ». En tant que rectrice de l’Université de Namur, je me sens, 51 ans plus tard, toujours concernée par la nécessité de progresser dans cette direction. Dans le contexte que nous connaissons, prendre en compte les enjeux de justice sociale n’a jamais été aussi important. Le changement climatique affecte tout d’abord les personnes précarisées, tant près de chez nous, comme lors des inondations de juillet 2021, qu’à l’échelle mondiale. Les conflits qui ont éclaté depuis deux ans aux frontières de l’Europe, que ce soit en Ukraine ou au Moyen Orient, fragilisent la situation de paix dans laquelle nous avions le privilège de nous épanouir depuis presque 80 ans et, surtout, mettent en péril la vie et la liberté des populations concernées. La démocratie est en péril à nos frontières alors que les extrémismes de tous ordres se développent sans complexe, dans une confusion sans précédent entre rumeurs et faits, entre émotion et réflexion, entre conviction et raison. Dans ce contexte, le rôle de l’université comme institution de création et de diffusion de connaissances passées à la loupe de la pensée critique apparait plus que jamais comme essentiel. Mais nous devons aller plus loin. 

L’université a créé récemment une nouvelle faculté, en sciences de l’éducation. Cette faculté doit contribuer à la formation initiale des enseignants et, par là même, à l’amélioration de la qualité de formation dans l’enseignement obligatoire dont on sait qu’elle est inconstante. La Faculté de médecine lance aussi cette année son programme de spécialisation en médecine générale. Cette formation s’insère dans une vision globale de la santé de première ligne, incluant médecins, infirmiers et infirmières (que nous formons avec l’UCLouvain, l’Henallux, la HEPN et la HELHA), pharmaciens, psychologues, assistants sociaux... Notre vision de la justice sociale se décline dans chacune des disciplines de l’UNamur. C’est une thématique historique et reconnue en Faculté EMCP (nouveau nom de la Fac Eco) et en Faculté de droit. Cette dimension doit requérir notre attention tout particulièrement, dans cette période de tension budgétaire et sociale, en matière d’éducation et de santé, deux grands enjeux de notre mode de société et de démocratie. Nous souhaitons contribuer, par nos recherches, par nos enseignements, à une société plus juste, où chacun peut avoir accès à un enseignement de qualité, où chacun peut réclamer son droit à la santé. Les discussions avec les ministres en charge sont programmées et nous souhaitons contribuer activement à ces enjeux. Ces deux disciplines, c’est avec notre partenaire privilégié, l’UCLouvain, que nous les construisons. Parce que, plus encore qu’ailleurs, il faut conjuguer les efforts pour espérer atteindre l’objectif. Parce que nous partageons des valeurs et une volonté communes.

Je voudrais conclure en parlant d’un autre partenaire, l’Université Saint-Joseph à Beyrouth. Certains d’entre vous le savent, Michel Scheuer, ancien recteur de l’Université de Namur, est à l’USJ depuis plusieurs années. Il y est actuellement conseiller au recteur en termes d’éthique et de bioéthique. Je connais aussi bien le recteur Salim Daccache que j’avais d’ailleurs invité à participer à un débat sur la situation dans la région, avant que celle-ci ne se détériore encore davantage au détriment du Liban voisin. J’espère que ce projet pourra se faire, même si les liaisons sont actuellement coupées. J’affirme solennellement ici notre volonté, comme nous l’avons fait dans le passé, d’apporter tout notre soutien à l’USJ, à ses professeurs, à ses étudiants. L’USJ est aussi un pilier à Beyrouth. Un pilier de l’éducation supérieure, à destination de tous les étudiants. Un pilier de la santé, avec son hôpital universitaire. Mais aussi un pilier de la démocratie. 

Soutenir les institutions universitaires est essentiel pour conserver une porte ouverte vers l’espoir, vers la lumière de la connaissance, un peu comme dans l’allégorie de la caverne. Et les ténèbres sont bien profondes en ce moment au Liban, pays cher à notre cœur ainsi qu’à celui de notre docteure honoris causa Zeina Abirached.

Zeina Abirached à la cérémonie DHC 2024 à l'UNamur

Chers docteurs honoris causa, merci encore d’être qui vous êtes. 

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée; et on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. » 

Merci de nous avoir laissé vous mettre sur le chandelier de l’Université de Namur, et, à travers vous, tous ceux et toutes celles dont vous portez la voix au travers de votre œuvre artistique, journalistique ou apostolique. Nous sommes fiers de vous compter désormais comme membres de notre communauté et enthousiastes de nous laisser inspirer par vous.

Pour clôturer cette cérémonie, j’aimerais remercier tous ceux et toutes celles qui ont contribué à la réalisation de cet événement. Nos nouveaux DHC, bien sûr, leurs parrains et marraines, les traducteurs en langue des signe (pardon d’avoir parlé si vite), les techniciens, et les équipes de l’Administration de la communication ! Merci pour toute votre énergie et votre engagement.

Il est temps pour moi de déclarer l’année académique 2024-2025 ouverte, et de vous inviter à partager le verre de l’amitié. 

Namur, le 30 septembre 2024

Annick Castiaux, Rectrice de l’Université de Namur.

 

(1) Traduction libre de la situation de Pedro Arrupe, S.J., dans Justice with Faith Today: Selected Letters and Addresses, ed. Jerome Aixala, S.J. (St. Louis, MO: Institute of Jesuit Sources, 1980), 2:125.

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