Ataxie, bêta-thalassémie, drépanocytose… Une maladie rare est déclarée comme telle lorsqu’elle affecte une personne sur 2 000. Ce chiffre peut sembler faible, et pourtant 30 millions d'Européens sont touchés par l’une d’elles, dont 700 000 Belges. Pourtant, la grande majorité de ces infections sont dites orphelines, car il n’existe pas de traitement adéquat, et peu de recherches y sont consacrées. Une situation aggravée par la difficulté de validation de nouveaux traitements.

« Lorsqu’une agence de régulation des médicaments évalue la pertinence d’un nouveau médicament, elle se base notamment sur des données obtenues à partir d’études cliniques contrôlées, c’est-à-dire faites sur un relativement grand nombre de patients », observe Flora Musuamba Tshinanu, professeure au Département de pharmacie. 

flora-musuamba-tshinanu
Flora Musuamba Tshinanu

« Or, dans le cas des maladies rares ou pédiatriques, ce type d’études est très difficile à réaliser, parce que peu de patients sont disponibles, ou parce qu’il s’agit de populations fragiles à qui on ne peut demander de suivre un protocole lourd. Il en résulte des données cliniques difficiles à interpréter avec les méthodes standards, ce qui peut entraîner des incohérences et disparités dans les prises de décision. »

Pour y remédier, la Commission européenne a financé en 2024 le projet ERAMET visant à faciliter l’adoption de méthodes de modélisation et de simulation informatique, que l'on nomme aussi in silico, pour le développement et l’évaluation des médicaments orphelins et pédiatriques. Méthodes dont Flora Musuamba Tshinanu, professeure à l'unité de recherche en pharmacologie et toxicologie clinique, est une spécialiste : « Il existe de plus en plus d’outils permettant de simuler in silico  l’action des médicaments au niveau cellulaire, d’un organe, d’un patient, ou encore d’une population, et d’anticiper les réponses au traitement », dévoile-t-elle. « En utilisant des données produites pour des maladies plus communes ou des populations adultes, il est possible de faire des prédictions quant à l’action des médicaments destinés à des maladies rares ou pédiatriques. »

Mais pour l'heure, le plein potentiel de ce type d’approche n’est pas encore exploité au sein des agences de régulation des médicaments. « Il n’existe pas encore de protocole clair permettant de prendre en compte les données obtenues in silico, note la chercheuse. Notre projet vise donc à aider les agences en mettant en place un système de standards. »

Intégrer les données in silico

Doté de 6 millions d’euros, coordonné par l’UNamur et impliquant également quatre autres universités européennes, mais aussi les agences réglementaires de quatre pays dont la Belgique, et des PME, le consortium ERAMET vise donc à mettre en place une plateforme d’analyse, ainsi que des études pilotes basées sur un certain nombre de maladies pédiatriques et rares, telle que l’ataxie, et plusieurs maladies respiratoires et hématologiques. « La force de ce projet est d'intégrer à la fois les universités et les agences de régulations, afin que tous ensemble nous travaillions à améliorer le système », juge la scientifique. « Notre objectif est d'intégrer les nouveaux types d’analyses in silico de façon routinière dans les processus d‘évaluation. »

À ce titre, le projet ERAMET vise donc à tester la crédibilité des différentes méthodes. « Il n’est pas question d’en forcer l’acceptation à tout prix, mais de mettre en place des critères et standards permettant de les considérer comme des alternatives, et ainsi comprendre leur valeur, leurs avantages et inconvénients », insiste Flora Musuamba Tshinanu

Un challenge d’autant plus important que ERAMET a la particularité d’intégrer l'intelligence artificielle (IA) dans ces nouveaux outils. « Nous comptons utiliser l'IA à deux niveaux », énumère la chercheuse. « Tout d'abord comme une méthode alternative supplémentaire, au côté des approches plus pharmacologiques de modélisation et de simulation. Mais l'IA sera aussi intégrée dans une plateforme dédiée au traitement de ces questions et au développement des standards, afin de les automatiser et ainsi assurer leur pérennité. »

« Ces approches in silico ont l’avantage de pouvoir intégrer, d’une manière originale et différente des pratiques actuelles, des données in vitro, in vivo et cliniques, mais aussi dites « de vie réelle », ajoute la scientifique. « Ces dernières, provenant des registres médicaux des patients, comportent cependant beaucoup d’incertitudes et leur intégration représente donc un vrai challenge. »

Un projet centré sur les patients

Bien que ERAMET ait pour but d’aider les agences de réglementation, c’est aussi et surtout aux patients qu’il bénéficiera. « À l’heure actuelle, le système réglementaire est assez compartimenté », estime la Pr Flora Musuamba Tshinanu. « Chaque domaine, depuis les études in vitro jusqu’aux études cliniques, se concentre sur ce qui lui importe. Et in fine, on perd parfois de vue le vrai impact pour le patient. »

La chercheuse souhaite donc proposer un changement de culture. « Plutôt que d'évaluer chaque donnée séparément, nous proposons de les observer de façon intégrée, en se concentrant sur les questions importantes dans la prise de décision réglementaire en faveur du patient », explique-t-elle. « Cela permettra, par exemple, de voir si certaines faiblesses au niveau de données de qualité ne peuvent pas être compensées par d’excellentes données cliniques, et vice-versa. Au final, la question centrale est celle de la balance bénéfice-risque, qui doit être favorable pour le patient, et c'est elle qui doit guider toutes les autres. » 

Le projet à l’international

En 2024, le projet ERAMET a été présenté à plusieurs congrès et réunions internationales :

  • Le PAGE-meeting à Rome
  • ASCPT 2024 Annual Meeting à Colorado Springs
  • L’OSP conference en octobre 2024 à Bale
  • L’ HMA/EMA Workshop on AI en Octobre 2024 à Amsterdam
  • EFGCP Paediatric Conference à Bruxelles en octobre 2024
  • PKUK à Bracknell en novembre 2024

ERAMET a établi des fortes connections avec plusieurs communautés scientifiques et plusieurs projets ayant un focus sur les maladies rares et pédiatriques ainsi que les sciences réglementaires.

Le projet ERAMET

Ce projet a reçu un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon Europe de l'Union européenne dans le cadre de la convention de subvention n°101137141.

logo-europe-et-projet-eramet