Quel est votre expertise dans votre domaine scientifique ?
Pendant plus de 43 ans, j’ai mené des recherches dans le domaine de la Mécanique Céleste ou encore de l’astronomie mathématique. Le but de cette discipline est de calculer les orbites de différents corps célestes, à moyen et long terme (des centaines de millions d’années parfois) en tenant compte des forces, des résonances, des dissipations ; leur stabilité (ou au contraire leur caractère chaotique) est fondamentale et peut être estimée par des outils très spécifiques.
Qu’est ce qui selon vous fait toute la richesse de votre domaine ?
Plusieurs choses rendent le domaine passionnant : tout d’abord, le renouveau continuel de la connaissance (en 1979, on connaissait 4000 astéroïdes, on en dénombre plus d’un million actuellement; les exoplanètes ont été détectées en 1995 pour la première fois, et maintenant le catalogue en comporte plus de 4000), ensuite l’interdisciplinarité (j’ai travaillé avec des astronomes, des mathématiciens, physiciens, ingénieurs, géologues, numériciens ou théoriciens ou observateurs) et enfin sa complexité, qui remet en question régulièrement les acquis ou les théories (les trous noirs, la formation des planètes, les échelles de temps, la vie ailleurs, les liens philosophiques).
Pensez-vous que le fait que vous soyez une femme influence votre carrière de scientifique ?
Au début, je pense que vouloir mener de front, comme femme, une vie familiale et une carrière scientifique temps plein paraissait encore un peu utopique et ne convainquait pas tous les jurys. Mais un réel changement de mentalité est arrivé (du moins dans mon domaine) visant à encourager les femmes intéressées par ce défi. J’ai donc été de plus en plus souvent soutenue et sollicitée (je crois même privilégiée dans certains cas) pour participer à des jurys, des évaluations ou des fonctions de représentation, au FNRS ou à l’IAU par exemple, ou lors de ma nomination comme chargée de cours en 1999. Des initiatives comme lors de l’année internationale de l’astronomie en 2009, avec le thème « She is an astronomer » ont vraiment permis de nous faire connaitre et nous ont donné une vraie visibilité, nationale et internationale. Malheureusement le pourcentage de femmes (jobs permanents) en astronomie stagne autour des 22 %.
Qu’est ce qui selon vous pourrait faciliter et encourager la carrière des femmes scientifiques ?
Je citerai d’abord une action scientifique : abandonner les classements bibliométriques et se concentrer, dans les évaluations, sur la qualité du travail et des papiers. Les femmes publient moins souvent, se laissent plus facilement influencer par un reviewer négatif, se mettent moins en évidence mais passent plus de temps dans l’encadrement des jeunes chercheurs ou dans l'évaluation. Cette comptabilisation en « nombres » est systématiquement favorable aux hommes, car elle correspond davantage à leur tempérament, leur manière d’exercer leur profession. Les critères doivent évoluer.
Ensuite comme dans beaucoup de cas, la gestion de la vie familiale repose encore surtout sur les épaules des femmes, toutes les mesures d’horaire variable, de crèches sur le lieu de travail, de garderies groupées, de congés parentaux, d’échanges de prestations avec des collègues, souples et adaptables, favorisent certainement en priorité les carrières des femmes.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer à une femme qui hésiterait à se lancer dans le même domaine scientifique que vous ?
Je lui conseillerais de se lancer et de faire ce qu’elle aime, du mieux qu’elle peut, mais sans trop écouter les dictats de la société. J’en cite quelques-uns qui m’ont toujours choquée : si on n’est pas nommée à 30 ans c’est trop tard ; si on ne tient pas le rythme de 3 papiers par an, inutile de s’accrocher ; jamais de grossesse avant la thèse ; à partir de 3 enfants, il faut passer à mi-temps, etc.