« Communs et bien(s) commun(s) » : pourquoi ce thème ? Pour dresser un constat et répondre à une urgence. 

Le constat

Il est évident que nos sociétés occidentales sont confrontées aujourd’hui à de multiples crises : économique, sociale, religieuse, écologique, politique, sanitaire. Ces crises font souffrir de populations entières et menacent d’extinction de nombreuses espèces, si non la planète elle-même. Mais elles ont au moins le mérite d’avoir permis le progressif effondrement du paradigme anthropologique datant de l’époque moderne. Celui-ci est fondé sur l’individu conçu comme self made man invulnérable et autonome, pour qui l’épanouissement personnel et la réalisation de soi, associés à la satisfaction de ses besoins individuels, constituent la finalité ultime de son existence.  

Ce paradigme a rendu possible le développement d’une organisation économique, sociale et politique structurée autour de la production, l’exploitation des ressources et le principe de la propriété privée, y compris pour les ressources que nous pourrions définir comme des « biens communs » (telles l’eau ou les matières premières – le gaz, le charbon, le pétrole, les minéraux, les forêts - ainsi que les inventions technologiques ou le patrimoine culturel développé au fil du temps). Cette organisation économique a favorisé la construction d’un État souverain dont la légitimité a longtemps reposé sur un « contrat » établi avec les citoyens qui garantit sécurité et protection à leurs intérêts particuliers en échange de l’aliénation d’une partie de leurs biens et de certaines libertés. Mais depuis l’avènement de la société industrielle, puisque le marché a progressivement remplacé l’État comme autorité légitime capable d’assurer la paix sociale, on se retrouve aujourd’hui faceà une organisation sociétale ultra-libérale qui favorise la réduction de toute réalité à un objet d’échange, y compris les ressources communes et l’homme lui-même. 

 C’est ce paradigme anthropologique et économique que les crises actuelles font chanceler.

On redécouvre progressivement que l’individu conçu comme self made man invulnérable et autonome n’existe pas, et que tous les vivants sont liés entre eux et à leur environnement, étant tous affectés par une commune vulnérabilité. Cela a fait resurgir un certain intérêt pour le(s) bien(s) commun(s).

Laura Rizzerio Professeure de Philosophie

L’urgence

Il devient aujourd’hui urgent d’imaginer et de mettre en œuvre un nouveau modèle de société capable de proposer une meilleure gestion des ressources et d’apporter ainsi de réponses plus adéquates aux crises auxquelles on est confronté. C’est ici que la référence au « bien commun » et aux « biens communs », qui a refait surface ces dernières décennies dans les recherches et dans les pratiques, devient intéressante. En 2009, le Prix Nobel d’économie a été attribué à Elinor Ostrom pour ses recherches à propos de la « théorie des communs »1. Il s’agit d’une théorie qui identifie les « communs » aux ressources matérielles et immatérielles d’une communauté dont la gestion résulte de la négociation de règles entre des individus.  Ces derniersse conçoivent en relation les uns avec les autres et ont à cœur le collectif, communiquent non pas en vue de l’intérêt particulier, mais en vue de la bonne gestion de ces mêmes biens, en garantissant aussi leur durabilité.  

Cette théorie permet d’envisager un nouveau modèle de gouvernance qui place les décisions de la communauté au centre des jeux économiques en suggérant d’autres modalités d’accès aux biens communs et à la propriété (qui ne disparaît pas pour autant) que celles imposées par le marché. Ce modèle renoue aussi avec la notion de bien commun telle qu’elle a été proposée dans l’Antiquité et au Moyen Âge (par exemple chez Aristote et Thomas d’Aquin),  et qui était associée à une vision anthropologique où l’Homme est pensé comme un être « politique » qui trouve sa raison d’être dans sa capacité à s’ouvrir à autre que lui, à travers le langage et la communication par exemple. 

L’ articulation entre « théorie des communs » et « bien commun » étant encore peu étudiée, la Chaire Notre-Dame de la Paix de l’UNamur a voulu mettre le focus sur le rapport qui existe entre Communs et  bien(s) commun(s), en invitant à prendre la parole de spécialistes en différentsdomaines (économie, philosophie, théologie, sciences humaines, droit, sciences et technologies, aménagement du territoire). La Chaire a ainsi accueilli de nombreux professeurs et professeures, spécialistes de renommée internationale, tels l’économiste et théologien Gaël Giraud, l’économiste Benjamin Coriat, les juristes Fabienne Orsi, Serge Gutwirth, Séverine Dussoiler et Alain Strowel ; les philosophes Arnaud Macé et Cécile Renouard ; l’historien René Robaye, et l’ingénieur architecte urbaniste Bernard Declève. Leurs interventions ont permis de mieux comprendre ce que la prise en compte du bien commun peut produire, pratiquement aussi, au niveau de la conception du bien, du juste, de la propriété et de la gestion des ressources dans le respect de la liberté de chacun.  

Le public, nombreux, composé d’académiques, de chercheurs, d’étudiantes et d’étudiants, de personnalités émanant de la société, a apprécié la profondeur des interventions et les réflexions que les différents intervenants ont proposées, permettant également un temps d’échange après chaque conférence. La Chaire Notre-Dame de la Paix et le centre de recherche éponyme (cUNdp) inscrivent ainsi leurs réflexions dans une démarche de service à la société en vue de contribuer à la construction d’un modèle « durable » d’organisation sociétale, respectueuse des personnes et de l’environnement.  

Le cUNdp en collaboration avec d’autres chercheuses et chercheurs de l’UNamur et d’autres universités belges et étrangères projette la constitution d’un think tank pour poursuivre la réflexion et conduire à de propositions concrètes, en bénéficiant aussi de l’apport et de l’expérience des acteurs de la société qui ont déjà donné vie à des expériences de Communs. 

Le centre Universitaire Notre-Dame de la paix