Cet article a été réalisé pour la rubrique "Expert" du magazine Omalius #32 de mars 2024.
Omalius : La présence de PFAS dans notre environnement fait la une de l’actualité : est-ce une problématique neuve ?
Patrick Kestemont : Pas du tout, les PFAS (Produits Fluoroalkylés et Polyfluoroalkylés) existent depuis des décennies. On les appelle d’ailleurs les polluants éternels parce qu’ils ont une durée de vie extrêmement longue. Certaines catégories de PFAS sont par exemple interdites depuis plus d’une dizaine d’années mais nous en trouvons toujours des traces dans de nombreux produits de consommation, tels que les poêles antiadhésives Tefal, les tapis avec recouvrement anti-tâches, et même les extincteurs contenant de la mousse d'extinction. Ils sont également fréquemment détectés dans des zones liées à des activités militaires. La caractéristique principale des PFAS est qu’ils sont très persistants. Il s’agit en fait de substances chimiques, totalement synthétisées par l’homme, qui n’ont donc pas d’équivalent dans la nature. Ce qui les rend si résistantes, c’est la liaison entre deux atomes les composant : le carbone et le fluor. Cette liaison est extrêmement solide, difficile à casser. À la connaissance actuelle, il n’existe ainsi pas d’organisme vivant capable de biodégrader les PFAS. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres sortes de polluants qui sont plus toxiques mais moins résistants parce que des bactéries peuvent les casser. Or, ce qui est aussi dangereux pour la santé humaine, c’est l’exposition plus ou moins prolongée à une substance toxique.
O. : Et vous alertez sur le fait que cette exposition ne se limite pas à la consommation de l’eau courante, mais qu’elle est très présente dans notre quotidien, notamment dans notre alimentation…
P.K. : Oui en effet. Globalement, il faut rappeler que l’eau courante en Belgique est contrôlée et est de qualité. Certes, on retrouve des PFAS dans l’eau mais dans des concentrations généralement très faibles. Actuellement, c’est la norme de 100 nanogrammes par litre qui est retenue. Or, ces polluants sont en réalité présents dans l’ensemble de notre chaine alimentaire suite à des mécanismes de bioaccumulation, et dans des proportions bien plus importantes que dans l’environnement. Cela résulte du fait qu’un organisme contaminé par des PFAS va être mangé par un autre qui lui-même va être consommé : on constate alors que la présence de PFAS s’accentue à mesure que l’on progresse dans la chaîne alimentaire. Pour de nombreux aliments, les normes de tolérance des PFAS sont nettement plus élevées que pour l’eau courante : par exemple un poisson sauvage pêché dans la Meuse peut être commercialisé jusqu’à 45.000 nanogrammes de PFAS par kilo. Le lait peut contenir jusqu’à 66.000 nanogrammes de PFAS par litre. Toute notre chaine alimentaire fait bien entendu l’objet de contrôles stricts, sur base de normes bien établies. Mais il est important d’avoir conscience que cette problématique des PFAS ne se limite pas à notre consommation d’eau du robinet.
O. : Analyser les normes existantes sera une des missions du conseil scientifique indépendant mandaté par la Région wallonne dont vous faites partie ?
P.K. : L'objectif de ce conseil est de synthétiser les données et la littérature concernant les PFAS, en mettant l'accent sur leur composition, leurs propriétés physico-chimiques, leur présence, les sources de contamination, les niveaux de contamination, ainsi que les effets de cette contamination sur la santé. C’est un travail qui va prendre du temps. Nous sommes mandatés pour deux ans. Actuellement, une campagne de biomonitoring a été lancée, impliquant le prélèvement de sang sur des milliers de personnes, principalement dans les zones touchées par les polluants persistants. Le protocole de prélèvement a été approuvé par le Conseil scientifique, et les résultats de ces analyses seront utilisés pour évaluer l'impact sur la santé humaine et potentiellement revoir les normes européennes.
O. : Au sein de l’UNamur, vous dirigez le laboratoire de l'URBE (Unité de Recherche en Biologie environnementale et évolutive). Quels sont vos axes de recherche ?
P.K. : Ils portent principalement sur l'analyse des réponses physiologiques, biochimiques et moléculaires des organismes aux perturbations de l'environnement (pollutions, réchauffement climatique...), sur l'écologie moléculaire et la génétique évolutive, ainsi que sur l'écologie des communautés et des milieux aquatiques. Actuellement, nous sommes impliqués dans plusieurs projets, notamment celui sur l'écotoxicologie liée aux micros et nanoplastiques. Nous travaillons sur des techniques innovantes pour évaluer la totalité des polluants, en particulier les 4700 PAH (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques). Un autre projet en cours concerne l'étude des problèmes de contamination des eaux de surface à l'échelle des rivières, avec un accent sur la santé environnementale. Pour ces différentes recherches, nous utilisons des modèles alternatifs tels que des larves de poisson, en particulier celles du poisson zèbre. Sa taille larvaire microscopique, ses automatisations, et sa capacité à fournir des informations pertinentes au niveau comportemental, physiologique et moléculaire en font un modèle efficace. Ses réponses face aux polluants sont potentiellement transposables à l'homme, offrant une analyse complète, rapide et moins coûteuse.
O. : Face à ces divers polluants présents dans notre environnement, l’écotoxicologie peut-elle être source d’espoir pour l’avenir ?
P.K. : L'écotoxicologie joue en tout cas un rôle crucial dans la prise de conscience des problèmes environnementaux liés à divers polluants. Grâce à la contribution de l’écotoxicologie, l'humain a su mettre en place des régulations pour réduire les impacts environnementaux de ces polluants. Cependant, c'est un travail sans fin, car de nouvelles molécules apparaissent toujours. Mon espoir réside dans la capacité continue de la recherche à identifier, réglementer et réduire les impacts des polluants pour un environnement plus sain.
Noëlle Joris