Cet article est tiré de la rubrique "Expert" du magazine Omalius #30 (septembre 2023)

O. : Comment percevez-vous le dialogue entre la science de la nature et la théologie ?

D. L. : Pour aborder cette question, il importe de distinguer les approches rationnelles de la science des réflexions théologiques, tout en reconnaissant la possibilité d’un dialogue entre elles. Ce dialogue peut se dérouler dans un cadre philosophique, en respectant l'autonomie de chaque domaine. Les questions soulevées par les sciences vont au-delà des aspects purement techniques et englobent des interrogations d'ordre métaphysique, épistémologique et éthique. De même, la théologie, en tant qu’explicitation rationnelle d’un contenu de foi, esquisse parfois des réponses à ces questions, formulées dans un langage philosophiquement structuré. Ainsi, les clarifications philosophiques provenant de la théologie peuvent contribuer à éclairer les questions philosophiques émanant des sciences. Ce dialogue conceptuel demeure dynamique en raison de l'évolution continue des connaissances scientifiques et théologiques. Dans l'ensemble, il est essentiel de reconnaître que la raison et les convictions peuvent s'engager dans un dialogue productif. Ce dialogue revêt une importance particulière pour éviter que des convictions non remises en question ne deviennent incohérentes, tout en évitant également à la raison de s'enfermer dans une rigidité qui pourrait l'empêcher de saisir la richesse de l'expérience humaine dans sa totalité.

 


 


 

O. : Vous avez consacré une partie de vos recherches aux travaux de Georges Lemaître. En quoi ce scientifique vous a-t-il impressionné ?

D. L. : Lemaître est l’un des fondateurs de la cosmologie physique contemporaine. On lui doit d’abord l’explication, en 1927, par un univers en expansion, de ce que l’on appelle aujourd’hui la loi de Hubble-Lemaître (décrivant le mouvement de fuite des galaxies lointaines). Par cette explication, Lemaître introduisait le caractère proprement historique de l’univers. On lui doit ensuite, en 1931, « l’hypothèse de l’atome primitif » qui préfigure le modèle du Big Bang. Il a aussi défendu l’importance, dans les équations d’Einstein, de la « constante cosmologique » (liée à l’accélération actuelle de l’univers) et fait l’hypothèse qu’il devait rester un « rayonnement fossile » apportant des informations sur les premiers moments de l’univers (même s’il se trompait sur sa nature). En fait Lemaître avait déjà, en 1931, introduit tous les ingrédients importants de notre modèle cosmologique validé aujourd’hui. Son impact sur la cosmologie est donc énorme. Il est aussi connu par ses travaux très importants sur le rayonnement cosmique. Il a contribué à la théorie des célèbres « ceintures de Van Allen », mais aussi à des travaux pointus de mécanique céleste (reconnus par la NASA !) C’est lui également qui a introduit le premier ordinateur à l’UCL et il peut être considéré comme l’un des pionniers de l’informatique en Belgique !

O. : Quels sont les enjeux éthiques les plus préoccupants dans le domaine de la robotique ?

D. L. : Les problèmes les plus préoccupants sont liés à la délégation de pouvoirs importants de décision à des systèmes d’armes doués d’une grande autonomie de fonctionnement. Comment, par exemple, assurer, dans ce contexte, le respect du Droit international humanitaire et maintenir le sens et la finalité politiques des actions ? Le recours à des robots autonomes peut contribuer à diluer ou à occulter les responsabilités. On ne peut utiliser ces technologies sans une conscience profonde des responsabilités. La paix n’est pas seulement la fin de la guerre et n’est pas non plus seulement garantie par la possession de technologies. Le rétablissement de relations de confiance et de dialogue fraternel entre les peuples demande un profond sens humain qui ne peut être fourni ultimement par aucun algorithme ! Les machines sont utiles et nécessaires, mais jamais celles-ci, aussi fascinantes et performantes soient-elles, ne peuvent faire disparaître la référence à la dignité des personnes. Ma recommandation serait de maintenir un profond sens humain au sein de la boucle de décision médiatisée par la technologique, surtout dans les matières où la vie de l’humain est en jeu.

O. : Quel regard portez-vous sur l’intégration de l’UNamur à l’alliance UniversEH ?

D. L. : L’UNamur a depuis longtemps une prestigieuse réputation internationale dans le domaine de la mécanique céleste. Du point de vue pédagogique, son Observatoire astronomique est un lieu exceptionnel pour faire découvrir aux jeunes les beautés du Cosmos et les initier aux questions touchant à l’espace. En plus, l’UNamur a toujours eu à cœur de développer des recherches et des enseignements multidisciplinaires touchant aux questions juridiques et éthiques suscitées par les nouvelles technologies. Dans l’alliance UniversEH les chercheurs pourront contribuer à éclairer des questions relatives, par exemple, à l’appropriation des zones lunaires ou martiennes, à la commercialisation ou à la militarisation de l’espace, à la pollution des sites et environnements extra-terrestres, à la gestion des risques pris par les humains dans l’exploration spatiale, et à développer, peut-être, des solutions novatrices pour penser l’espace comme « maison commune » ou « bien commun » de l’humanité…

O. : Au quotidien, comment votre vie personnelle nourrit-elle votre recherche intellectuelle ?

D. L. : Depuis quelques années, j’ai la chance de participer très modestement aux actions des « Colis du cœur ». Je pense que cette expérience a surtout changé quelque chose à ma vie et à mon regard. Du point de vue intellectuel, je me suis senti impuissant, mais j’ai vraiment saisi l’importance de travaux de mes collègues qui visent concrètement à étudier la manière de réduire les fractures numériques, économiques, sociales et surtout d’éviter ces mécanismes qui contribuent à exclure et à invisibiliser une série de personnes. C’est un vrai devoir pour notre institution d’investir dans cette étude et de descendre sur le terrain…

O. : Vous terminez votre carrière à l’UNamur, quels souvenirs gardez-vous ?

D. L. : Je garde un merveilleux souvenir de la générosité de mes collègues !

Les collaborations interdisciplinaires, nées lors de repas entre philosophes, biologistes, vétérinaires, physiciens et mathématiciens dans le restaurant de l'époque près de l'accueil du 61 rue de Bruxelles, restent des moments marquants.

Dominique Lambert Physicien et Philosophe

Ma thèse de doctorat en physique et mes interactions avec les biologistes doivent beaucoup à ce lieu, sans parler des discussions informelles dans les escaliers de la Faculté de lettres ! Le charme de Namur est sa « géographie » qui favorise et stimule les rencontres interdisciplinaires.

CV Express

  • Docteur en Sciences (Physiques) et Docteur en Philosophie
  • Membre de l’Académie royale de Belgique (Classe des sciences)
  • Membre de l’International Academy for Philosophy of Sciences
  • Prix 1999 de la Fondation Georges Lemaître (partagé avec Jean-Pierre Luminet)
  • Prix 2000 de l’ESSSAT (European Society for the Study of Science and Theology)

Les études à l'UNamur

En philosophie

En physique

Cet article est tiré de la rubrique "Expert" du magazine Omalius#30 (Septembre 2023).

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