La Faculté de droit organise cette année une série d’activités pédagogiques et extra-académiques autour du thème de l’inclusion. Estimez-vous que le système judiciaire belge est inclusif ?

Non et il l’est de moins en moins. Et pour diverses raisons. D’abord, un grand pas a été franchi en 2014 vers un système judiciaire qui exclut plutôt qu’il n’inclut, avec d’une part le vote des lois dites « pot-pourri » qui modifiaient la procédure civile et pénale. Il s’agit par exemple de la suppression de certaines voies de recours. Et d’autre part, le passage à la TVA à 21% sur les frais d’huissiers, d’avocats, qui augmente encore les frais de justice. De vraies barrières financières et procédurales à l’accès à la justice ont donc été dressées ces dernières années. Par ailleurs, l’austérité et le manque de moyens qui frappent le système judiciaire le rendent aussi moins inclusif. Dans chaque palais de justice, des gens sont absents, malades et ne sont pas remplacés ou le sont par des gens qui sont sans statut. Le système judiciaire exclut donc, dans son propre fonctionnement, des profils de valeur et des personnes engagées. 

Et cette austérité affaiblit aussi la qualité de la justice… 

Oui, sur la qualité et la quantité. Par exemple, les procureurs du Roi dénoncent le fait que les parquets et les polices n’ont plus les moyens humains et matériels de mener des enquêtes compliquées. Donc on fixe plus facilement des dossiers « faciles » aux audiences dans lesquelles les personnes vulnérables sont plus exposées. La combinaison de tous ces éléments, auxquels on doit nécessairement ajouter la menace de l’algorithmisation de la justice, c’est-à-dire le recours à l’intelligence artificielle dans le cadre de procédures décisionnelles, conduit à déclasser les plus vulnérables. Par exemple, un algorithme peut décider qui, parmi les allocataires sociaux, doit faire l’objet d’un contrôle à la fraude plus poussé. Cela pose question : sur base de quels critères (raciaux, culturels…), de quelles données, quel est le lien causal, etc. ? Cette prétendue aide à la décision représente, à mon sens, un risque accru d’exclusion, sans parler de la fracture numérique. La justice est dans de sales draps !

Avez-vous un « bon exemple » en matière d’inclusion mis en œuvre par le système judiciaire belge ? 

La médiation. Le législateur le permet en matière civile depuis décembre 2023 et c’est une voie dans laquelle s’engagent de nombreux magistrats. Ce choix est volontaire : personnellement, je le fais deux fois par mois. La médiation est même un processus de ré-inclusion, qui réinsère la personne dans son litige. Il n’y a plus de blanc ou noir, chacun va prendre sa part et chacun va s’engager dans la résolution du conflit au profit des deux parties. Outre cet effet positif, c’est un mode alternatif moins couteux et en quelques mois on peut résoudre un dossier « par le haut », en réinjectant du respect et de la dignité pour chacun, y compris aux yeux de son adversaire. 

Vous accueillez aussi régulièrement des étudiants de la Faculté de droit de l’UNamur pour des stages : que souhaitez-vous transmettre à cette génération de futurs avocats, magistrats, juges ? 

À côté de la théorie et de la pratique, je veille toujours à transmettre les fondamentaux ; c’est-à-dire une forme de savoir-être par rapport au justiciable dans une perspective de respect absolu. La seule personne vulnérable dans une salle d’audience, c’est le justiciable. Lui seul peut voir sa vie basculer dans une audience, et c’est lui qui vient défendre une partie de sa vie, une partie de sa personne. Pour l’avocat, le seul risque c’est de perdre le dossier. Ce sont des fondamentaux qui là aussi contribuent à un rendre la justice plus inclusive. Et ce qui me rassure, c’est que les étudiants que je côtoie se montrent très réceptifs à ces fondamentaux. C’est une lueur d’espoir !

Vous êtes reconnue pour affirmer régulièrement vos opinions que ce soit au travers de vos ouvrages, ou encore vos cartes blanches. Sortir du bois permet-il de mieux défendre ? Est-ce une recommandation que vous feriez aux futurs juristes ? 

Bien entendu, mais avec toutes les précautions à prendre. Le principe d’alerte, et la liberté d’expression sont des leviers d’actions vitaux. Alors oui je recommande de s’exprimer, mais en argumentant. Et pour argumenter, il faut préalablement étudier son sujet en profondeur, confronter les avis, les connaissances. Avec ces précautions, j’appelle la jeune génération de juristes à s’engager, à agir parce qu’il n’y a pas de cause perdue. C’est une source d’espoir.

CV Express 

Manuela Cadelli est juge au tribunal de première instance de Namur et ancienne présidente de l’Association syndicale des magistrats (2013-2019). Elle a publié plusieurs ouvrages et termine un essai intitulé « IA et Justice : une enquête critique ».

L’inclusion comme Fil rouge de la Faculté de droit

Depuis 2022, la Faculté de droit de l'Université de Namur s’engage à réunir étudiants et enseignants autour d’une thématique annuelle commune, explorée dans l’ensemble des cours, travaux, activités pédagogiques, culturelles et d’engagement citoyen. Cette année elle se tourne vers une question essentielle : l’inclusion. Sous le slogan « Vivons l’inclusion ! », l’objectif est de sensibiliser étudiants et enseignants à l’importance de faire place à chacun dans notre société, indépendamment de la race, du genre, de la classe sociale, de l’âge, des capacités physiques et mentales, des préférences sexuelles…

Vivons l'inclusion !

Dans le cadre du Fil rouge de droit, Josef SCHOVANEC, philosophe-saltimbanque de l'autisme et de la différence et Doctor Honoris Causa de l'UNamur, interviendra lors du cours de "Sources et principes du droits" d’Elise DEGRAVE, le 18 février

Photo de Josef Schovanec
Josef SCHOVANEC