Cet article est tiré de la rubrique "Experts" du magazine Omalius de juillet 2025.

Comment les femmes ont-elles intégré les mouvements de résistance durant la guerre 40-45 ? 

Axel Tixhon : On retrouve les femmes dans les réseaux de résistance qui cachent des enfants juifs, des soldats et aviateurs alliés ou encore des opposants politiques. Ces personnes étaient souvent hébergées temporairement avant d’être exfiltrées par des filières d’évasion depuis les territoires occupés vers l’Espagne, puis la Grande-Bretagne. Les réseaux de cache s’appuyaient sur les petites cellules familiales, hermétiques vis-à-vis de l’extérieur, mais très ouvertes à l’intérieur. Forcément quand une famille accueillait quelqu’un sous son toit, tous ses membres, et particulièrement les femmes, participaient. Leur engagement s’inscrit donc dans le prolongement du rôle traditionnel qu’elles jouaient à cette époque.

On observe également des profils de femmes émancipées. Par exemple, Louise-Marie Danhaive, connue pour ses activités littéraires avant la guerre, va s’engager dans la presse clandestine. Elle va donc sortir du rôle traditionnel de la femme. On retrouve aussi des personnalités moins connues, comme Juliette Bernard. Investie dans un groupe folklorique à Fosses-la-Ville avant la guerre, elle va entrer dans la résistance, essentiellement dans le secteur du renseignement et de l’aide aux partisans du Parti communiste. 

Même si c’est assez rare, certaines femmes ont aussi pris les armes comme Madeleine Tasset (Andenne), dont on a retrouvé une photo qui la montre manipuler une mitrailleuse et porter la tenue de l’armée secrète. 

Les résistantes ont souvent été invisibilisées, comment l’expliquer ? 

Bénédicte Rochet : Il y a d’abord des facteurs qui sont propres à l’histoire de la résistance et de la politique belges. Au lendemain de la 2e guerre mondiale, le gouvernement doit gérer des milliers de résistants dont certains sont armés tandis que d’autres font partie du Front de l’indépendance, réseau majoritairement communiste dont l’importance fait craindre une révolution dans notre pays. Churchill et Roosevelt vont alors inciter le gouvernement belge à reprendre les rênes du pouvoir et à maintenir l’ordre en s’appuyant sur les forces de police officielles et l’armée belge. Dans ce contexte, la résistance va être dénigrée et surtout désarmée. 

Dès novembre 1944, les résistants vont manifester pour obtenir une reconnaissance de leur statut. Ces manifestations vont être mises sous le boisseau par le gouvernement et même par la presse. Aujourd’hui encore, les commémorations mettent surtout à l’honneur l’armée. Et, lorsqu’on évoque la résistance, on rend hommage à ceux qui sont morts durant la guerre. 

Beaucoup de femmes ne vont par ailleurs pas demander une reconnaissance de statut parce qu’elles ne se retrouvent pas dans la connotation militaire qui y est associée à l’époque. En outre, comme elles entraient souvent en résistance avec l’ensemble de la cellule familiale, c’était le père de famille qui allait déposer le dossier de reconnaissance. Tout cela a participé à l’invisibilisation des résistantes. 

A.T. : Lors du colloque, Ellen De Soete, fondatrice de la Coalition 8 mai, a livré un témoignage très touchant. Elle a expliqué comment sa mère, résistante arrêtée et torturée, a bâti toute sa vie sur le silence. Son supplice avait été la conséquence du fait que d’autres avaient parlé. Il était donc essentiel pour elle de se taire afin de ne pas mettre ses enfants en danger. S’ils savaient, ils risquaient peut-être à leur tour d’être torturés. Ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’elle a libéré sa parole. Ellen De Soete a expliqué que, enfant, leur mère leur interdisait de sortir ou d’inviter des amis à la maison. Les cicatrices provoquées par la guerre ont donc bien souvent débordé des individus eux-mêmes pour avoir un impact sur l’ensemble de la famille, y compris sur les générations suivantes. C’est donc aussi cette culture du silence qui a participé à l’invisibilité des femmes résistantes. 

B.R. : À partir des années 60-70, il y a un basculement avec les gender studies. Les études vont, dans un premier temps, se concentrer sur les femmes au travail et les droits des femmes, mais pas du tout sur leur rôle dans les contextes de guerre. Ce n’est donc qu’à la fin des années 90 et au début des années 2000 que l’histoire s’intéresse aux femmes résistantes durant la guerre 40-45.  

Lors du colloque, vous avez aussi abordé les rapports entre l’extrême droite actuelle et la question du genre. Les droits des femmes sont souvent mis à mal par les partis d’extrême droite, et pourtant, en France, en Italie, en Allemagne, les grandes figures de ces partis sont des femmes. Comment peut-on expliquer cette contradiction ? 

A.T. : Il est difficile de répondre tant cela semble effectivement peu logique. Cela ressemble plus à une posture opportuniste qu’à une volonté de rendre les genres égaux dans la société. La présence de femmes à la tête des mouvements d’extrême droite en Europe est un moyen de déradicaliser le discours. On sait également que, dans la communication politique de l’extrême droite, on n’est pas à un paradoxe près. D’une certaine manière, ces partis aiment jouer la rupture entre ce qui est attendu de figures politiques et ce qu’elles disent ou font. Donc, une femme qui tient un discours à la limite masculiniste est acceptable dans ces partis, alors que cela ne le serait pas dans un parti traditionnel. 

B.R. : Les politologues qui ont participé au colloque ont aussi apporté un élément de réponse qui rejoint et complète l’histoire. Dans leur programme, ces partis affirment défendre le droit au sentiment de sécurité des femmes. Ils leur disent : vous avez de la chance, vous êtes libres et vivez dans un contexte de liberté d’expression, mais il vous manque la sécurité physique. Et qui met cette sécurité en danger ? Ce sont ces migrants, ces étrangers qui violent nos femmes et qui sont désignés comme l’ennemi commun. Ce discours sécuritaire peut toucher certaines femmes. Celles qui ont adhéré au parti nazi dès les années 30, l’ont fait dans l’idée de vivre dans une société sécurisée à l’abri de la violence des communistes, des juifs, etc.  

Axel Tixhon et Bénédicte Rochet

Le nazisme s’appuyait-il aussi sur de grandes figures féminines ? 

B.R. : On a seulement commencé à s’intéresser aux femmes du Troisième Reich dans les années 90. Les femmes ont souvent joué un rôle en tant qu’épouses. On pense par exemple à Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande, Joseph Goebbels, ou à Emmy Sonnemann, épouse de Hermann Göring. Ces femmes ont joué un rôle de réseautage et de soutien du régime, en organisant, par exemple, des dîners et réceptions. Le récent film de Jonathan Glazer, « La Zone d’intérêt », illustre bien ce rôle des femmes. Il met en scène le cadre familial du commandant du camp d’Auschwitz. Il montre comment son épouse instaure un climat familial accueillant et joue donc un rôle important de soutien à son mari, alors qu’elle sait ce qui se passe dans le camp situé de l’autre côté du mur de son jardin. 

À côté des épouses, plus de 500 000 femmes se sont engagées pour le troisième Reich, comme gardiennes dans les camps, infirmières, etc. Et puis, quelques personnalités n’ont pas agi en tant qu’épouse. Leni Riefenstahl, par exemple, a réalisé des films documentaires qui ont soutenu le parti.  

A.T. : Et ce sont sans doute les films les plus efficaces de la propagande nazie !  

Le programme du parti nazi en ce qui concerne les femmes a évolué au fil des années. Dans les années 30, il s’agit de mettre les femmes en sécurité. Dans les années 40, le rôle de la femme est de produire des bébés pour soutenir la race aryenne. Et puis, en 43, alors que les nazis constatent qu’ils sont en train de perdre la guerre, le curseur bouge encore : les femmes sont alors engagées dans l’industrie de guerre.  

Le travail de mémoire auprès du grand public porte souvent sur les conséquences du nazisme, moins sur les mécanismes et les discours qui ont permis aux nazis de prendre le pouvoir. Les méthodes et la rhétorique de l’époque sont-elles similaires à celles de l’extrême droite actuelle ?  

A.T. : Oui, par exemple dans la recherche du bouc émissaire et le développement des peurs. Lors du colloque, les politologues parlaient de « paniques morales ». Aujourd’hui, l’extrême droite insiste, par exemple, sur le déclin des valeurs morales, en pointant du doigt les personnes transgenres ou les personnes aux préférences sexuelles différentes. Elle va insister sur la nécessité de transformer le modèle social pour revenir à un traditionnel, tout en faisant peur. L’instrumentalisation des peurs est le fondement de la stratégie électorale des partis d’extrême droite, soit en accentuant les craintes qui existent, soit en les faisant littéralement naître.  

On sait que l’antisémitisme existait au préalable, mais les nazis lui ont accolé de nombreux discours violents et déshumanisants, pour justifier l’extermination des juifs. La violence était, dès lors, justifiée par le fait que les populations juives, gitanes, homosexuelles, étaient dangereuses.   

On retrouve aujourd’hui le même schéma dans certains discours agressifs qui proviennent de groupuscules d’extrême droite ou, plus généralement, de groupuscules extrémistes. Ces discours pourraient amener certains à justifier des violences semblables à celles de la guerre 40-45 envers ces soi-disant menaces pour la société. 

B.R. : La rhétorique est également similaire. Aussi bien dans le parti nazi que dans les partis d’extrême droite actuels, on est face à des tribuns qui, comme Hitler ou Goebbels, aiment les monologues. Ils tiennent des discours qui assènent des vérités et qui créent une panique morale. Par contre, tous ces tribuns sont en difficulté lorsqu’ils doivent débattre d’idées.  

C’est un peu la même chose aujourd’hui. Dans un débat contradictoire, Donald Trump va par exemple aller au conflit, comme il l’a fait avec le Président Zelenski. Göring, Hitler, Goebbels faisaient exactement la même chose. On a retrouvé des archives sonores du procès de l’incendie du Reichstag dans lesquels on entend Göring sortir complètement de ses gonds lorsqu’il est mis en contradiction avec un des accusés ou un des avocats. 

Ces similitudes doivent donc nous alerter sur les dangers de l’extrême droite actuelle ? 

A.T. : Oui. C’est l’objectif de « Coalition 8 mai », créée par Ellen De Soete qui a pris conscience que, lors des commémorations, on perpétue les mêmes gestes, mais on en a souvent perdu le sens. Il y a pourtant aujourd’hui des raisons de craindre qu’on débouche sur des horreurs semblables à celles commises en 40-45. L’association veut sensibiliser le public à ce danger. C’est pourquoi elle a proposé au Département d’histoire d’organiser ce colloque. 

Le baiser du GI en septembre 1944

« 1000 Résistantes ! 1940-1945. Des femmes dans la Résistance en Province de Namur. »  

À travers cette publication, le lecteur découvre les réseaux de résistance actifs en Province de Namur au sein desquels de nombreuses Namuroises se sont engagées durant la guerre 40-45. Le carnet présente également une liste de 1000 résistantes namuroises et les portraits de 15 d’entre elles réalisés par les étudiants du bloc 2 en histoire.  

Le projet a été initié par le Service des Musées et du Patrimoine culturel de la Province de Namur (SMPC) dirigé par Mélodie Brassine, alumnus du Département d’histoire, en collaboration avec le professeur Axel Tixhon. Au départ l’idée était de trouver une résistante pour chacune des 38 communes que compte la Province, mais le SMPC a pu, grâce à ses recherches, dresser une liste de 1000 noms. « Il y a donc un potentiel de recherche incroyable sur les résistantes en Province de Namur et ailleurs. Dans les différentes communes, il y a matière à creuser. Cela peut être une occasion pour les pouvoirs locaux de mettre en valeur certains profils à travers toute une série de démarches. Le travail de recherche pourrait être réalisé par des groupes d’action locale, des écoles secondaires, voire par des élèves de 6e primaire », suggère Axel Tixhon. 

Cet article est tiré de la rubrique "Experts" du magazine Omalius #37 (Juillet 2025).

Omalius #37

Copyrights (par ordre d'apparition) : 

  • Louise-Marie Danhaive
  • Imprimerie clandestine à Liège, 1944 – © Cegesoma
  • Madeleine Tasset – copyright : © Collection M. Tasset, Bibliotheca Andana
  • Irma Caldow à Solre-sur-Sambre vers 1943-1944 – © Cegesoma
  • Le baiser du GI septembre 1944 – © Cegesoma