Depuis une vingtaine d’année, un phénomène physique attire particulièrement l’attention des scientifiques du monde entier : celui de la superradiance dans les milieux à indice de réfraction proche de zéro. Parmi eux, Michaël Lobet, professeur au Département de physique de l’UNamur, chercheur qualifié FNRS et chercheur associé à la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences (SEAS). « C’est un des gros axes que j’étudie depuis dix ans maintenant et pour lequel j’ai réalisé un post-doctorat dans l’équipe du professeur Eric Mazur, à Harvard », explique Michaël Lobet.

La superradiance est un phénomène connu depuis plus d’un demi-siècle. Il a été théorisé mathématiquement dès 1954 par Robert Dicke, qui a montré que lorsque des éléments comme des atomes interagissent, ils peuvent se synchroniser pour émettre ensemble une lumière plus puissante, comme dans un laser par exemple. Un peu comme dans une chorale qui chante à l’unisson, le son produit est bien plus fort que chaque voix prise séparément. Mais, pour que cela fonctionne, il est impératif que les émetteurs soient très proches l’un de l’autre.

Un indice qui change tout

Les scientifiques ont cependant découvert qu’un élément pouvait changer la donne : lorsque les émetteurs sont plongés dans un matériau dont l’indice de réfraction est proche de zéro, plutôt que dans le vide, la position des émetteurs n’est alors plus un problème. L’indice de réfraction est une grandeur qui permet de décrire le comportement de la lumière dans un matériau. Dans un matériau ordinaire, la lumière se comporte un peu comme des vagues sur la mer : elle avance en formant des crêtes et des creux qui se déplacent. Mais dans un milieu à indice proche de zéro, c’est comme si la mer devenait parfaitement plate, sans vagues, et se mettait à monter et descendre en bloc. Tout bouge à l’unisson : la mer devient uniforme, et la vague s’étire à l’infini.

Quand le champ lumineux devient plus uniforme, tous les atomes se retrouvent alors optiquement proches les uns des autres, même s’ils sont spatialement éloignés. Autrement dit, l'indice de réfraction proche de zéro "ambiant" permet de relâcher l'écart strict entre les positions des atomes, condition indispensable pour permettre "l'intrication" des particules quantiques. L'intrication quantique correspond à des corrélations entre les particules, essentielles au développement de l'information et des ordinateurs quantiques.

De l’électrodynamique à l’informatique quantique

C’est là qu’intervient la contribution prometteuse d’une équipe composée de chercheurs de l’UNamur, d’Harvard et de la Michigan Technological University (MTU), soutenue par la Dr Larissa Vertchenko de la société danoise Sparrow Quantum, spécialisée en technologie quantique. Adrien Debacq, chercheur aspirant FNRS au Namur Institute of Structured Matter (NISM) et co-auteur de l’article, aidé d’Olivia Mello, doctorante à Harvard, et de la Dr Larissa Vertchenko, ont développé ensemble une puce photonique capable d'améliorer radicalement la portée de l'intrication entre des émetteurs, jusqu’à 17 fois plus que dans le vide. Ces émetteurs ont été réalisés à partir de diamant à vacance d'azote (NV), des structures bien connues en optique quantique.

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Portrait Michaël Lobet

C’est la première fois qu’un écart aussi long a pu être atteint grâce à un système compact facilement implémentable dans des puces photoniques.

Michaël Lobet Professeur au Département de physique de l’UNamur, chercheur qualifié FNRS et chercheur associé à la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences (SEAS)

 « Cet article montre comment ce travail peut passer de l'électrodynamique classique au régime quantique avec les matériaux à faible indice de réfraction », résume Eric Mazur, professeur à la Harvard School of Engineering and Applied Sciences, qui est à la pointe de ces matériaux innovants depuis une dizaine d’annéesL’intrication, propriété purement quantique, permet de réaliser le transfert d’informations quantiques, un concept déjà soulevé par Einstein dans les années 1930 dans le cadre de ses travaux sur la mécanique quantique. Le présent travail s’inscrit dans cette suite, et plus globalement dans la “seconde révolution quantique”, qui vise à utiliser les découvertes fondamentales d’Einstein et autres pères fondateurs de la mécanique quantique.

Des applications très concrètes

Cette perspective confirme l’ouverture entamée ces dernières années à des applications potentiellement révolutionnaires : des lasers plus efficaces, des capteurs optiques plus sensibles et, surtout, des outils de télécommunication plus rapides et ultra-sécurisés notamment grâce aux ordinateurs quantiques. La cybersécurité est par exemple sur le point d’être bouleversée par ces découvertes, garantissant la sécurité des messages par des lois physiques plutôt que des calculs complexes.

Préserver un haut degré d'intrication sur puce sur de plus longues distances pourrait ouvrir la voie à une intrication multipartite impliquant de nombreux qubits. Ce serait utile, par exemple, à la construction d'états de cluster – ressource-clé pour l'informatique quantique unidirectionnelle universelle – ainsi que pour l'informatique quantique distribuée à grande échelle et les réseaux de communication quantique, susceptibles d’offrir une augmentation drastique des capacités de calcul et de transmission.

Durdu Güney Professeur associé à la Michigan Technological University (MTU)

Durdu Güney, avec le Dr. Seth Nelson, ont contribué à étudier la réponse dynamique du système quantique en présence de faisceau laser pompe.

Tout l'enjeu de la future recherche consiste maintenant à transformer ce projet théorique, mêlant modèles analytiques et simulations numériques, vers une réalisation expérimentale concrète. L'objectif : se rapprocher encore un peu plus de systèmes quantiques pratiques, qui tiennent dans des dimensions aussi fines que l'épaisseur d'un cheveu. Nous aurons peut-être un jour, qui sait, un ordinateur quantique dans notre poche ?

 

Remerciements

Les chercheurs remercient le Département de physique et l’Institut NISM, le FNRS pour le financement des mandats de recherche de Michaël Lobet et Adrien Debacq, la plateforme technologique PTCI, dont les supercalculateurs ont rendu cette étude possible, et, enfin, le financement partiel du United States Army Research Office dans le cadre du programme MURI (W911NF2420195).