Ce projet prend pour point de départ le fait que l’acclimatation de la poésie à la communication publicitaire a contribué à renforcer son inscription urbaine, de sorte qu’elle apparaît aujourd’hui fréquemment sur les murs de nos villes, souvent par le biais de citations fragmentaires et de vers isolés. Il invite à prendre ces écrits au sérieux et à interroger les formes, usages et fonctions de l’inscription poétique dans l’espace urbain contemporain.
Il s’agira de distinguer inscriptions autorisées (fresques de commande, poésie de vitrine et autres installations pensées en collaboration avec les pouvoirs publics) et écrits “sauvages” (spontanés, bruts, éphémères).
Du côté des écrits autorisés, on retrouve notamment des citations d’œuvres canoniques, mais aussi des œuvres inédites participant de la production d’auteurs légitimés, réalisées pour orner des bâtiments publics — ce qui soulève une série de questions : la poésie est-elle réduite dans ce cas-là à une simple fonction décorative ? Quels textes/extraits et quels lieux d’inscription sont choisis ? Quelles formes sont privilégiées ? S’agit-il de miser sur des formules fonctionnant comme maximes ou proverbes « inspirants » ou « feel-good », sur des extraits emblématiques visant à entretenir un patrimoine commun ? Faut-il tenir ces productions pour la manifestation d’un « capitalisme artiste » lénifiant ou peut-on les tenir pour des médiations permettant de rendre la poésie visible et tenir lieu de premier contact et d’incitation à la découverte de textes complexes ? Comment l’exposition du texte est-elle pensée matériellement (typographie, couleurs, articulation à des illustrations, etc.) ?
Du côté des écrits sauvages, ne reposant pas sur des commandes et ne bénéficiant pas d’autorisation, ce sont d’autres formes et conceptions de la poésie qui sont activées, de slogans lyriques en mots d’ordre ironiques et de calembours en aphorismes absurdes. Ces énoncés relèvent d’une parole vive vaguement perturbatrice du quotidien en ce qu’elle apporte des saillances, du jeu, de l’incongru, qu’elle dé-routinise.
Il ne s’agira pour autant pas de surjouer l’écart entre écrits poétiques institutionnels et sauvages : il est frappant d’observer la multiplication d’écrits misant sur un imaginaire de l’illégalité et de la contestation tout en rendant possible leur transfert vers d’autres supports, plus institués et, surtout, potentiellement plus vendeurs — de sorte que c’est aussi la gentrification(*) des écritures sauvages qu’il s’agira d’étudier dans ce cadre.
(*)Gentrification : Processus par lequel la population d'un quartier populaire fait place à une couche sociale plus aisée.