Elles sont partout autour de nous, elles nous fascinent depuis des siècles. Enfants, nous nous penchons sur elles pour les regarder se déplacer entre nos doigts dans nos jardins qui deviennent des jungles. Adultes, elles nous fascinent encore, déjouant les pièges que nous tentons de leur poser dans nos cuisines qu’elles envahissent toujours là où on ne s’y attend pas.

Elles, ce sont les fourmis, et plus particulièrement l’espèce Lasius niger, que nous retrouvons fréquemment dans nos jardins. 

« C’est en sortant de chez moi, un jour d’été 2022, que je me suis rendu compte qu’un phénomène discret mais bien réel avait lieu devant chez moi : les rues de mon quartier namurois étaient envahies par de jeunes reines et mâles de fourmis s’envolant pour leur unique vol nuptial. Ce vol est à l’origine de la fécondation des reines qui, une fois revenues sur terre, démarrent une colonie dans une cavité, nos murs ou même nos déchets », raconte Boris Hespeels, chercheur au sein de l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Evolutive (URBE) de l’UNamur.  Après avoir collecté une centaine d’individus, le scientifique, qui mène par ailleurs des recherches sur la résistance d’autres organismes vivants dans des milieux extrêmes (les rotifères – lire notre article à ce sujet), retourne à son laboratoire avec la volonté de tester un mythe de la culture populaire : l’extrême résistance de ces insectes notamment face à de nombreux stress, tels que les radiations des bombes nucléaires.

Dans l’enthousiasme, une collaboration se forme entre des chercheurs des Départements de biologie et de physique. Après quelques réflexions, un protocole expérimental est conçu, menant à une expérience concrète, totalement encadrée et sécurisée (lire par ailleurs). Ainsi, quatre chercheurs de l’UNamur publient aujourd’hui la première étude visant à évaluer la radiorésistance des fourmis noires Lasius niger face à des doses massives de rayons X. Publiée dans la revue scientifique belge Belgian Journal of Zoology, elle révèle comment Lasius niger parvient à survivre plus de 11 semaines après avoir reçu des doses massives de rayons X (jusqu’à 250 Gray(Gy), alors que les cellules humaines ne résistent généralement pas au-delà de 10 Gy). Cependant, les chercheurs ont également découvert qu’à partir d’une certaine dose d’irradiation, les femelles étaient rendues stériles, malgré leur survie.

Les résultats ont été comparés aux quelques données précédemment obtenues lors d’expériences sur les radiations dans le cadre de la lutte contre des espèces de fourmis invasives. Si les mécanismes de protection et de réparation des dommages chez les fourmis restent encore inconnus, cette étude confirme que la radiorésistance des fourmis, ainsi que leur mode de vie souterrain, leur confèrent un statut d’espèce résistante en cas de retombées radioactives.

Une recherche scientifique hors circuit

Cette expérience a été réalisée par les chercheurs selon une approche indépendante de tout projet ou financement, expérimentant ainsi une approche dite Crash-and-Learn (« Échec et apprentissage »). Ce travail démontre les possibilités ouvertes par la réalisation de projets scientifiques en dehors des cadres préétablis, laissant une place importante à la collaboration spontanée et au plaisir non intéressé de faire de la recherche. Cette approche, complémentaire des voies traditionnelles liées aux financements et aux directives définies parfois des années avant la réalisation du projet, questionne sur le sens et la pratique du métier de chercheur.

Un cadre scientifique strict, dans le respect de la biodiversité et du vivant

La réalisation de cette expérience n'exclut en aucun cas la sensibilité des chercheurs à la préservation de la biodiversité et au respect du vivant.  Aucun dommage n'a été causé à l'écosystème local ou aux populations animales et humaines. Les fourmis utilisées dans cette étude ont été irradiées dans des conditions strictement sécurisées en laboratoire, sans risque de contamination ou de dissémination dans la nature. L'espèce utilisée, Lasius niger, est une espèce commune, et les conditions expérimentales ont été strictement limitées au laboratoire. Conformément aux principes des 3R (Réduire, Remplacer, Raffiner), le nombre d'individus exposés a été réduit au strict minimum nécessaire pour garantir des résultats scientifiques fiables. De plus, le stress des fourmis a été limité autant que possible tout au long de l'expérience, qui nécessitait l'utilisation d'individus vivants.

L’équipe de chercheurs :

  • Martin Vastrade Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 
  • Valérie Cornet Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE); 
  • Anne-Catherine Heuskin Laboratory of Analysis by Nuclear Reaction (LARN); Namur Research Institute for Life Sciences (NARILIS); 
  • Boris Hespeels Research Unit in Environmental and Evolutionary Biology (URBE); Institute of Life, Earth and Environment (ILEE);