Aussi perfectionnés que soient nos ordinateurs, ces derniers reposent toujours sur la même technologie : l'information y est véhiculée par l'électron, dont la présence correspond au chiffre 1, et l'absence à 0. Cette unité de base est appelée le bit. 

Il existe cependant une autre manière d’encoder l’information. En effet, il est possible d’exploiter les propriétés particulières des particules à l’échelle microscopique, et qui sont définies par la mécanique quantique. En utilisant par exemple des photons, les particules qui composent la lumière, la technologie quantique reposerait alors sur des qubits, bien plus riches que les bits classiques. Un tel changement ouvrirait la voie aux communications quantiques, comme la cryptographie, et la métrologie quantique, qui permet de mesurer avec une très grande précision des grandeurs physiques comme le temps par exemple. 

Cependant, isoler des photons reste aujourd'hui une tâche infiniment complexe. « Avec une source de lumière comme une ampoule, ce sont des millions de milliards de photons qui sont émis en même temps », révèle Yves Caudano, chercheur qualifié FNRS et chargé de cours de physique à l'UNamur. 

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Yves Caudano, physicien à l'UNamur

L'objectif du projet Artémis est donc de créer des molécules capables d'émettre de façon contrôlée de la lumière à très basse intensité, c'est-à-dire photon par photon. 

Yves Caudano Chercheur qualifié FNRS et chargé de cours de physique à l'UNamur

À cette fin, les scientifiques prévoient de synthétiser de nouvelles molécules capables d'émettre des photons uniques. « Ces molécules seront associées à des nanostructures métalliques complexes, qui auront à la fois pour but de rendre ces sources fiables, c'est-à-dire capables d'émettre des photons à la demande, mais aussi de s'assurer que les photons seront toujours envoyés dans la même direction », précise le physicien. « L’un des enjeux de ce projet est également de produire des paires de photons, en arrangeant ces molécules dans des cristaux et ainsi créer des conditions optiques particulières. » 

Photons intriqués

Ces paires de photons, que l’on nomme aussi photons intriqués, sont une des propriétés quantiques des particules sur laquelle reposent des systèmes comme la cryptographie quantique.  

Ainsi, un algorithme de cryptographie quantique serait à même de résoudre des problèmes dans un temps record. "Actuellement, la cryptographie qui protège nos communications repose sur la complexité d'un calcul, qu'aucun algorithme connu ne peut résoudre en un temps suffisamment court, résume-t-il. En revanche, il existe un algorithme quantique dont on a montré qu'il serait capable de réaliser ce calcul en un temps raisonnable. Et donc, par exemple, décoder tous les messages actuels encodés de cette manière.

Machines qui sont employées dans le cadre du projet de recherche Artemis

Le rôle de l'UNamur

Pour réussir, Artémis s'appuie sur l'expertise de 10 institutions européennes, et un budget de plus de 3 millions d'euros. Yves Caudano, en tant que physicien quantique, intervient en particulier dans la caractérisation quantique des photons. « Nous allons créer des expériences afin de s'assurer que les molécules émettent effectivement des photons uniques », énonce-t-il. « Puis nous nous pencherons sur les paires de photons émises, afin d'en déterminer toutes les caractéristiques ». 

Ces mesures sont un aspect crucial du projet, car ce sont elles qui montreront que les sources de photons sont fiables, et exploitables par des systèmes technologiques en dehors d'un laboratoire. Mais comme tout ce qui touche à la physique quantique, les difficultés y sont singulières. « En physique classique, le système que l'on étudie est indépendant de son observateur », expose-t-il. « Or, en mécanique quantique, toute mesure détruit également l'état que l'on cherche à observer ». 

Il faudra donc ruser. Or, Yves Caudano est justement un spécialiste de ce qu'on appelle les mesures faibles, capables de ne perturber que légèrement le système étudié. Elles doivent cependant être réalisées un grand nombre de fois pour obtenir une information exploitable. « Grâce à une nouvelle technique, nous avons constaté que ces mesures faibles nous permettaient également d'amplifier des phénomènes extrêmement faibles, que l'on ne voyait pas avant. Cela nous sera extrêmement utile dans la conception des protocoles d'expérience quantique destinés à montrer l'efficacité des sources lumineuses ». 

Le projet, qui durera jusqu'en 2027, n'en est qu'à ses débuts, et les premières molécules sortent seulement des laboratoires. Considéré comme un projet à haut risque, il doit permettre à l'UE de devenir leader dans la course à l'ordinateur quantique. 

Thibaut Grandjean

Trois questions à Yves Caudano

Omalius : Que sont des photons intriqués ? 

Yves Caudano : Prenons l'exemple de la polarisation d'un photon, c'est-à-dire la façon dont son champ électrique va osciller, et que nous allons tenter de caractériser. Cette dernière peut prendre diverses valeurs. Mais lorsque deux photons sont intriqués de manière spécifique, dès le moment où l'on va mesurer la polarisation sur l'un, celle de l'autre lui sera opposée. Un peu comme deux amis qui, quelle que soit la question qu'on leur pose, vont toujours répondre le contraire l'un de l'autre. Cette intrication signifie que cette paire de photons forme un système global, qui n'est pas séparable en deux entités distinctes. 

O. : À quelles questions fondamentales liées à ce projet vous intéressez-vous ? 

Y.C. : Je m'intéresse avant tout à la caractérisation des états quantiques des particules que l'on appelle la tomographie quantique. Les mesures faibles vont nous permettre d'arriver à obtenir directement des informations liées à la nature des particules, au lieu de la méthode habituelle qui n'est qu'une reconstruction a posteriori. C'est un peu comme avoir directement accès aux ingrédients d'un plat, mais en quantité extrêmement réduite, plutôt que d'essayer de deviner en le goûtant.  

O. : Qu'espérez-vous comprendre grâce à cela ? 

Y.C. : Il existe en mécanique quantique des difficultés d'interprétation, voire des paradoxes, avec par exemple des probabilités apparaissant négatives. Nous souhaitons utiliser les résultats des mesures faibles, obtenus ici à l'UNamur, pour mieux comprendre ces questions. 

 

 

ARTEMIS est soutenu par Horizon Europe dans le cadre du programme EIC Path Finder (numéro du grant : 101115149) 

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