Fort de ces résultats et grâce au C2W, un programme européen « très compétitif » qui finance des post-doctorats, Stéphane Vincent invite Dmytro Strilets, un chimiste ukrainien qui vient de terminer sa thèse sous la direction de Mihail Barboiu, à travailler dans son laboratoire sur les DCF. Ce projet, dénommé TADAM et mené en collaboration avec les chercheurs Tom Coenye de l'UGent et Charles Van der Henst de la VUB, se penche alors sur le potentiel antibactérien et antibiofilm des DCF contre Acinetobacter baumannii, une bactérie qui fait partie, tout comme Pseudomonas aeruginosa, de la liste des pathogènes les plus préoccupants définie par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Le projet TADAM repose sur un assemblage ingénieux : les DCF sont associés à des molécules particulières, les pillararènes. Ces derniers forment une sorte de cage autour d'une molécule antibiotique éprouvée, la lévofloxacine et améliore ainsi sa biodisponibilité et sa stabilité. Les DCF ont alors comme rôle d'inhiber et de désagréger le biofilm, pour permettre aux pillararènes de délivrer leur antibiotique directement aux bactéries ainsi exposées.
Les résultats obtenus par l'équipe de Stéphane Vincent sont spectaculaires : l'assemblage DCF-pillararène-antibiotique a une efficacité jusqu'à quatre fois supérieure à celle de l'antibiotique utilisé seul ! Constatant qu'il n'existe encore que peu de travaux menés sur l'effet antibiotique de ces nouvelles molécules, les chercheurs décident alors de protéger leur invention par un dépôt de brevet conjoint, avant d'aller plus loin.
Car tout reste encore à faire. D'abord, parce que malgré des résultats plus que probants, le fonctionnement de l'assemblage reste encore obscur. « Toute l'étude du mécanisme d'action doit encore se faire », indique Stéphane Vincent. « Comment s'agence l'antibiotique dans la cage de pillararène ? Pourquoi les DCF ont-ils une activité antibiofilm ? Comment s'agencent les DCF et les pillararènes ? Toutes ces questions sont importantes, non seulement pour comprendre nos résultats, mais aussi pour éventuellement développer de nouvelles générations de molécules. »
Et sur ce point, Stéphane Vincent veut se montrer particulièrement prudent. « On rêve tous, évidemment, d’une molécule universelle qui va fonctionner sur tous les pathogènes, mais il faut faire preuve d'humilité », tempère-t-il. « Je travaille avec des biologistes depuis de nombreuses années et je sais que la réalité biologique est infiniment plus complexe que nos conditions de laboratoire. Mais c'est bien parce que nos résultats sont très encourageants que nous devons persévérer dans cette voie. »
Le chimiste a d'ailleurs déjà plusieurs pistes : « Nous allons tester les molécules sur des bactéries "circulantes" en suspension dans un liquide, qui se comportent de manière très différente. Et puis nous allons également travailler sur des isolats cliniques de bactéries pathogènes, afin de nous approcher un peu plus des conditions réelles dans lesquelles ces biofilms se forment. »