Ce que je recherche avant tout, dans mes livres et scénarios comme dans mes chroniques radio, est le déclenchement d’une émotion. C’est de plus en plus ce que j’essaye de faire dans mes billets radio par exemple. On m’avait demandé de faire des billets humoristiques, mais davantage que la vanne, je cherche à ce que ces billets soient des moments d’émotions, plus ou moins légers. Les écrivains qui durent (je ne dis pas que je serai de ceux-là, mais je l’espère) ne sont pas forcément les plus grands penseurs, qui construisent leurs romans sur la base d’une opinion ou d’un propos sur la société, ce sont plutôt ceux qui sont parvenus à élaborer des personnages crédibles, avec un effet de réel important, que l’on n’obtient selon moi qu’à travers l’émotion. C’est sans doute pour cette raison qu’on continue à lire Le Comte de Monte-Cristo, tandis que les romans de Jean-Paul Sartre, eux, se lisent de moins en moins une fois que la mode est passée, car on sent que ses personnages ne servent qu’à démontrer une thèse… C’est aussi la raison pour laquelle je préfère écrire des romans que des billets radio : alors que la chronique doit tenir en quatre minutes dans une plage dédiée à l’info, le roman peut se maturer sur le temps long, ce qui permet de labourer l’imaginaire en profondeur, de puiser dans sa matière émotionnelle et d’essayer de partager cela à travers des histoires…
Il y en a plein, et à la fois je ne lis pas beaucoup bizarrement. Il y a des œuvres littéraires qui me touchent sans que je puisse vraiment l’expliquer : L’Amour au temps du choléra de Garcia Marquez, j’ai trouvé ça tellement dingue et sublime ; les nouvelles de Yōko Ogawa ; Le Comte de Monte Cristo ; les romans de Philippe K Dick, Bukowski, John Fante et des écrivains de la Beat Generation, ou même des œuvres de science-fiction pas forcément bien écrites, mais qui contiennent des idées géniales… J’aime aussi les correspondances (celles de Flaubert, par exemple, permettent de plonger très concrètement dans son univers). En ce moment je lis le journal de Paul Léautaud : ce qu’il dit sur sa pratique de l’écriture, ses hésitations, c’est tellement sincère !
Je suis assez peu intéressé par cette tendance contemporaine de l’autofiction, les récits de soi, etc. Il y a des choses qui sont très bien écrites, mais selon moi cela fait l’impasse sur la plus grande difficulté de l’activité littéraire, qui est d’élaborer une histoire ex nihilo et de parvenir à l’écrire. Ce qui me désespère c’est quand on met l’autofiction, dans les pages des journaux ou dans les émissions littéraires, sur le même pied que la fiction. Or, faire le récit de telle ou telle expérience de sa vie, ce n’est pas le même boulot que la création d’une fiction. Bien sûr, on travaille toujours à partir d’un matériau émotionnel qu’on connaît, mais je pense que le défi d’un auteur ou d’une autrice est de parvenir à recréer en soi des émotions qu’on n’a pas forcément éprouvées dans sa vie : c’est le propre de l’empathie.