La participation électorale est-elle en déclin ? Comment cela se traduit-il en chiffres ? En comparaison avec d’autres pays, la Belgique est-elle mauvais élève en la matière ?
Tout d’abord, il faut souligner que la participation électorale reste globalement très élevée en Belgique (88% de l’électorat s’est présenté à un bureau de vote en 2019). Ce taux de participation n’est toutefois pas surprenant vu que l’acte de voter n’est pas seulement un droit en Belgique, mais également un devoir (c’est-à-dire, une obligation du vote sous peine de sanctions). Cette obligation permet tout de même d’observer des chiffres qui feraient rougir les dirigeants de pays voisins (seulement deux tiers des électeurs se présentent au scrutin en Espagne et au Royaume-Uni, des proportions similaires également observées outre Atlantique aux USA et au Canada).
Une participation élevée est souhaitable et nécessaire en démocratie, car elle permet l’inclusion des intérêts multiples au sein de la population. De ce point de vue, certaines tendances sont inquiétantes en Belgique. D’une part, les chiffres indiquent une érosion lente, mais structurelle de la participation, où l’on perd quelques dizaines de milliers d’électeurs lors de chaque scrutin. Résultat : nous sommes passés de plus de 95% au début des années 1980 à seulement 88% lors du dernier scrutin. Et si l’on tient compte des votes blancs et nuls (votes non valables), laparticipation électorale « réelle » n’est que de 83% au niveau de la Belgique – et seulement de 79% au niveau de la Wallonie. Dans certaines communes wallonnes, cette participation « réelle » frôle même la barre des 70% - alors que le vote est obligatoire ! Cette dynamique est inquiétante : elle reflète le désintérêt politique pour une partie de l’électorat.
Quel impact cette participation en déclin peut-elle avoir sur la démocratie ?
En règle générale, les politologues privilégient une participation électorale élevée selon le sacro principe d’un homme/une femme = une voix. C’est un fondement de légitimité démocratique. Le problème majeur observé dans le déclin de la participation électorale est un renforcement de formes d’exclusions – y compris du jeu politique. C’est un paradoxe, mais ce sont les électeurs et les électrices les plus fragilisé.e.s qui tendent à se désintéresser davantage de la vie politique. On retrouve par exemple les profils de personnes en situation de vulnérabilité socio-économique ou d’isolement social. Résultat des courses : ceux et celles dont les intérêts devraient être particulièrement défendus ne font pas entendre leur voix dans les urnes. À l’inverse, la participation élevée chez une partie de l’électorat davantage « privilégié » peut conduire à une forme de sur-valorisation d’intérêts spécifiques dans les politiques publiques. Bien sûr, c’est en fait une diversité de profils qui se désintéressentde la vie politique (y compris des personnes avec un niveau d’éducation et de revenus élevés), mais c’est un impact plus général que je souligneici.
Comment expliquer ce déclin ?
Les causes sont multiples, complexes et en partie propres à chaque pays. On peut tout de même citer deux facteurs principaux. Premièrement, il y a une logique structurelle de ce que l’on pourrait qualifier de « désillusion politique ». Un sentiment qui renvoie à l’incapacité des gouvernements à agir sur les grands enjeux économiques, environnementaux, sécuritaires… Ce sentiment d’incapacité s’expliquer non seulement par la « globalisation et mondialisation » des affaires publiques (les gouvernements doivent composer et coopérer avec d’autres États et même des acteurs non étatiques comme les multinationales…) ; mais également par la « standardisation » des décisions publiques (les partis ne semblent plus offrir de solutions très différentes, càd que les partis de gauche comme de droite se ressemblent en quelque sorte). Il faut toutefois relativiser ce dernier point avec l’émergence de nouvelles forces politiques depuis les années 2010 un peu partout en Europe (surtout d’extrême droite et de gauche radicale après les crises financières et économiques de 2008-2012 comme Vox et Podemos en Espagne, l’émergence électorale du PTB-PVDA en Belgique…).
Deuxièmement, il y a des facteurs plus conjoncturels qui peuvent repousser les électeurs et électrices par « dégoût du jeu politique ». Je pense ici particulièrement à toute une série de scandales qui se sont répétés au cours des dernières années (Publifin, Samusocial, Kazakghate, Publipart,ou plus récemment, le ‘Pipigate’). Pour certaines personnes, c’est l’excès politique de ‘trop’ qui les détourne définitivement du process électoral.
Quelles solutions pour endiguer ce déclin ?
Outre l’exemplarité attendue des mandataires politiques, il faut travailler sur un renforcement de la qualité de nos démocraties. Tout d’abord, làoù nos gouvernements semblent incapables d’agir sur une série d’enjeux, il faut des réformes institutionnelles favorisent plus de transparence, d’inclusion et de proximité dans l’action publique. Une série de réformes vont actuellement dans ce sens (par exemple, des réformes de démocratie participative au niveau fédéral et régional). Mais il faut faire davantage et plus rapidement.
Ensuite, il faut continuer à travailler sur l’éducation civique à la participation électorale. C’est bien entendu un chantier de longue haleine, mais la meilleure garantie d’une participation élevée est de permettre à chacune et chacun de réaliser que son vote « compte » - même lorsque la politique semble éloignée et difficile. Il faut travailler à une telle culture civique grâce au système éducatif (dès le niveau primaire et secondaire), mais également en développant des outils et programmes spécifiques. Au risque d’être un peu caricatural, c’est l’idée qu’on ne peut pas convaincre de la même manière un.e jeune primovotant de 18 ans (qui se soucie de l’avenir climatique) qu’une personne de 45ans active (qui se soucie de sa pension) qu’une personne en maison de retraite (qui se soucie des soins de santé). Il faut donc adapter les outils et les messages en fonction des publics visés.