Mais qu’est-ce que le formalisme mathématique ? Il s’agit d’un ensemble d’équations qui a pour objectif de représenter de manière non-ambigüe un objet d’étude et son évolution temporelle pour en faire un modèle. Il y a une vingtaine d’années, les réseaux sont devenus populaires dans la modélisation des systèmes complexes pour leur capacité à capturer les interactions entre les parties d’un système de manière simple avec un formalisme universel. Si l’on pense aux réseaux sociaux, on peut considérer les personnes comme les nœuds du réseau et leurs relations d’amitié comme les arrêtes de ce réseau. Mais ce formalisme est beaucoup plus général, car les nœuds peuvent être des aéroports et les arrêtes des connexions en avion, ou des molécules avec leurs réactions. Dans beaucoup de contextes, l’information contenue dans les arrêtes n’est pas symétriques, on parlera donc d’arêtes dirigées et de réseaux dirigés. Pour reprendre l’exemple des réseaux sociaux, cela s’apparenterait à Twitter, où l’on peut suivre une personne qui ne nous suit pas forcément en retour. La comparaison peut aussi être faite avec le fonctionnement de notre cerveau dans lequel les nœuds sont les neurones et les axones et les dendrites, eux, sont les arrêtes, le flux d’information entre neurones a souvent une direction privilégiée.
La recherche étant toujours en évolution, les chercheurs ont constaté que le formalisme des réseaux n’arrivait pas à capturer les interactions qui impliquent plusieurs corps en même temps, comportement typique d’une grande variété de phénomènes. Pensez, par exemples, à la manière dont vous vous comportez avec une personne lorsque vous êtes à deux. Agissez-vous de la même manière que lorsque vous êtes en groupe ? La raison de cette limitation des réseaux est assez simple : dans un réseau, une arête ne peut connecter qu’à deux nœuds, donc pas de place pour des interactions avec trois ou plus. En outre, assez souvent ces interactions multiples ont une direction privilégiée. Par exemple, dans les phénomènes de peer pressure (pression par les pairs) et bullying (intimidation) en sociologie, ce sont des interactions de groupe mais dirigées vers une ou plusieurs personnes. Dans le domaine des réactions chimiques, plusieurs composants doivent réagir ensemble, mais il y a une direction privilégiée donnée par la thermodynamique.
L’idée développée par les chercheurs Namurois avec leurs collègues Italiens est de considérer un formalisme qui tienne compte en même temps des interactions multiples et de leur direction. Le groupe de recherche de l’UNamur étudiait déjà les interactions asymétriques, mais dans le cadre des réseaux. De l'autre côté, le groupe de recherche de l’Université de Catania avait récemment développé un formalisme pour traiter les interactions multiples mais symétriques. Leur travail intitulé « Stability of synchronization in simplicial complexes » avait été publié dans Nature Communications.
Grâce à la collaboration entre ces deux groupes, les chercheurs ont pu mettre leurs compétences en commun et étendre le formalisme italien à l’approche namuroise, en rendant possible le développement d’une théorie encore plus générale, incluant l’asymétrie dans les interactions à plusieurs corps.
L’idée-clé est la suivante : on peut décomposer une interaction à plusieurs corps symétriques comme la somme des interactions élémentaires à plusieurs asymétriques. Dans la figure ci-contre, adaptée de l’article, on peut considérer l’interaction entre Riri, Fifi et Loulou comme la somme de l’interaction de Riri et Fifi vers Loulou, de Riri et Loulou vers Fifi ou encore de Fifi et Loulou vers Riri.
Le nouveau formalisme a permis d’étudier la dynamique des systèmes représentés par ces hypergraphes, qu’ils ont appelés M-dirigés (M-directed, en anglais, où M est le nombre de nœuds qui reçoivent l’information, M=1 dans l’exemple de la figure), et étendre des résultats classiques dans ce nouveau contexte, en ouvrant la porte à des nouvelles et excitantes recherches futures. La théorie développée pourra être utilisée dans des disciplines différentes. Des sciences sociales aux études épidémiologiques, nombreuses sont les disciplines où on a des évidences expérimentales des interactions à plusieurs corps dirigées. Dès maintenant, les chercheurs pourront ajouter un outil de plus à leur boîte à outils pour construire des modèles plus précis.
Cette collaboration a été rendue possible grâce au programme Erasmus+, qui a permis à Luca Gallo, doctorant de l’Université de Catania et premier auteur de l'article, de séjourner à l’UNamur pendant 9 mois, et à Riccardo Muolo, doctorant FNRS FRIA à l'UNamur et co-auteur de l’article, de séjourner dans le groupe de Catania pendant deux semaines. Supervisés par le Professeur Carletti à Namur et par le Professeur Frasca à Catania, les deux doctorants ont pu travailler ensemble et apprendre les techniques analytiques et numériques des deux groupes de recherche.
Ces résultats montrent encore une fois l’importance des projets collaboratifs dans la recherche, qui favorisent l’échange de savoir-faire et l’émergence de nouvelles idées.
Bravo aux deux équipes pour cette publication !