Cet article a été rédigé dans le cadre de la rubrique "Impact" d'Omalius #25 (juin 2022).

Nous avons tous son image et une histoire en tête.  Son évocation est synonyme de peur et d’angoisse qui lui ont été préjudiciables. Persécuté par l'homme durant des centaines d'années, le loup avait disparu de beaucoup de pays européens à la fin du 19e siècle.

Depuis quelques décennies, il recolonise petit à petit ses anciens territoires. Mais ce n’est pas sans poser des problèmes de cohabitation avec l’homme. 

C’est pourquoi la Wallonie s'est dotée d'un "Plan pour une cohabitation harmonieuse avec le Loup" (Plan Loup) en juin 2020. Il s'inspire notamment des plans développés dans les pays voisins et propose des solutions concrètes pour faciliter le retour du loup, par exemple par le renforcement de la protection de l’espèce, des mesures de détection et de suivi, l’élargissement des possibilités d’indemnisation, les conseils de spécialistes et d’aides à la prévention ou encore des actions de sensibilisation. 

Julie Duchêne, doctorante FNRS en histoire, explique : « Ma recherche permet d’étudier et comprendre la situation en Wallonie aux 18e et 19esiècles, avant la disparition du loup. Quelles étaient ses relations avec l’homme ? Quels ont été les processus et facteurs qui ont entraîné sa destruction ? C’est la première étude du genre couvrant le territoire de la Wallonie. Cette thèse contribue aussi à déconstruire les idées reçues.  Le loup a mauvaise réputation, notamment à cause de contes comme le Petit Chaperon rouge, dans lequel il est présenté dévorant des humains ».

Expert au sein du Réseau Loup (2), Benoît Bolkaerts est proche des éleveurs et connaît très bien les problématiques de terrain. « Actuellement, il y a peu de loups en Wallonie. Une meute en Flandre et une dans les Fagnes, composée de 2 adultes et 3 ou 4 petits et un mâle isolé, qui pourrait donner naissance à une deuxième meute. On a trouvé des traces près de Courrière et de Ciney, mais il s’agit d’individus isolés de passage. », nous dit-il.  Des brebis ont cependant été tuées, ce qui représente des pertes financières pour les éleveurs, en plus de la peur que cela peut générer. Des mesures préventives, comme par exemple les clôtures anti-loup au domaine d’Haugimont sont expérimentées.  « Il s’agit de clôtures électrifiées de 1,20m de haut.  C’est très coûteux à installer, mais aussi à entretenir. Il y a aussi des chiens de protection, mais je n’y suis pas favorable, car c’est dangereux pour le public », ajoute-t-il.

Julie étudie actuellement d’anciens registres qui font état des primes payées aux chasseurs pour se débarrasser des loups. « À l’époque, on organisait aussi des battues, les élevages étaient plus petits, avec peu ou pas d’investissement financier. Le gardien du troupeau était parfois un enfant ou un adolescent et il n’avait pas toujours un chien. La problématique actuelle est complexe, car elle fait intervenir des éléments environnementaux, économiques, politiques et scientifiques qu’il faudra continuer à étudier sous divers aspects et à l’aide de différentes sources, en collaboration et dialogue entre les différents acteurs. », enchaine Julie. 

Benoît poursuit : « Oui, il y a un équilibre à maintenir. Et puis, tout a évolué. Même la faune. Il y a vingt ans, au domaine d’Haugimont, c’était rempli de lapins, puis il y a eu des sangliers et maintenant, des cervidés. Il faut accepter la présence du loup. Avez-vous entendu parler du loup Billy ? En 2020, cet animal isolé s’était mis à attaquer des moutons et des bovins dans les étables du côté de Liège. Il est ensuite reparti dans les Vosges, où il a dû être éliminé, car ce type d’attaque n’est pas un comportement normal chez ce prédateur. Le loup préfère naturellement le gibier (cerf, chevreuil, sanglier) aux proies domestiques.  Son habitat est la forêt et son territoire doit être de taille suffisante, c’est-à-dire environ 150 km². C’est un animal extrêmement farouche, il vous aura senti et déguerpi bien avant que vous puissiez l’apercevoir. Pour moi, il y a de la place pour tout le monde. »

Avec leurs points de vue complémentaires, nos interlocuteurs s’accordent tous deux sur le fait que le monde est fait de 50 nuances de gris et qu’il faut composer avec les circonstances. Il existe une pluralité de situations dans les élevages et il est nécessaire d’établir un équilibre entre nature et besoins économiques, en concertation avec les acteurs de terrain. La cohabitation avec le loup n’est donc pas forcément une histoire de confrontation.

Portraits

Julie Duchêne réalise actuellement une thèse en histoire environnementale « L'histoire du Loup en Wallonie » (18e-19e siècles), sous la direction d’Isabelle Parmentier. Financé par une bourse FRESH (FNRS) en 2020, le projet de recherche est réalisé en partenariat avec le Département de l'Étude du Milieu Naturel et Agricole (SPW-DEMNA). Après un bachelier en histoire à l’UNamur et un master en histoire, spécialisation « communication de l’histoire » à l’UCL, Julie effectue un master de spécialisation en journalisme. Elle souhaitait disposer des outils et des connaissances nécessaires pour vulgariser correctement les projets de recherche auprès du grand public. Associer la recherche tant fondamentale qu’appliquée et la vulgarisation lui tient à cœur depuis toujours.

Benoît Bolkaerts est responsable du CRO (Centre de recherche Ovine) situé à Faulx-les-Tombes et expert au sein du Réseau Loup. Ce réseau d’observateurs créé par le Service Public de Wallonie (SPW) en 2017 et piloté par le Département de l'Étude du Milieu Naturel et Agricole (SPW-DEMNA) centralise, analyse et valide tous les indices de présence du loup.  Benoît a notamment piloté l’expérimentation des clôtures anti-loup au domaine d’Haugimont.

Cet article a été rédigé dans le cadre de la rubrique "Impact" d'Omalius #25 (juin 2022).