Cet article est tiré de la rubrique "Enjeux" du magazine Omalius de septembre 2024.

Avez-vous le sentiment d’être un héraut ?

Si j’ai commencé à écrire et si je crée aujourd’hui des bandes dessinées, c’est probablement parce que j’ai ressenti l’urgence de relier mon présent à mon passé. J’avais le besoin d’effectuer un travail de mémoire sur ce que nous avions vécu au Liban dans les années 80, dans les années de mon enfance. Je ne sais pas si je me considère comme un héraut. Mais s’il y a un rôle que je peux endosser, à mon échelle, c’est celui de transmettre des bribes de notre histoire à travers un médium fertile et assez populaire. 

Comment en êtes-vous arrivée à être illustratrice, quelle a été votre motivation ?

L’urgence de raconter mon histoire et le plaisir du dessin. Le dessin n’est pas seulement un outil, j’éprouve un plaisir immense de dessiner. J’ai fait des études de graphisme parce que je savais que j’avais quelque chose à faire avec l’image, mais je ne savais pas encore comment cela allait se concrétiser. C’est lors de mes études que j’ai découvert à quel point le dessin était une activité vitale pour moi. Le dessin et l’écriture sont très liés, je dessine rarement en dehors des moments où j’écris. Françoise Sagan disait que quand elle écrit, elle a l’impression de rentrer dans un sous-marin. J’aime beaucoup cette idée de changer d’élément, d’être absorbée par le dessin. C’est un refuge pour moi.

Quel rôle joue un médium comme la bande dessinée dans la sensibilisation aux enjeux sociétaux et politiques ?

Elle a un évidement de transmission et d’éducation. Elle permet d’aborder des sujets importants, de prendre le temps d’y réfléchir. La bande dessinée permet aussi d’apporter de la poésie à des sujets difficilement accessibles. Il y a un rapport personnel et sensible avec un sujet dont le lecteur peut tout ignorer au départ. 

Que signifie pour vous le fait de recevoir les insignes de Docteur Honoris Causa de l’UNamur ? 

C’est un honneur, une grande joie et une surprise évidemment. Ce qui me touche particulièrement, ce sont les moments qui se passent autour de cette cérémonie. Cette remise d’insignes m’a permis de rencontrer des universitaires, des étudiants. J’aime cette idée de participer, même brièvement, à la vie de l’université. Je n’avais aucun lien avec l’Université de Namur avant, mais cela nous donne l’opportunité de tisser de nouveaux liens. 

CV express

Zeina Abirached suit des études de graphisme à l'Académie libanaise des beaux-arts avant de rejoindre Paris en 2004. Elle y intègre un cursus spécialisé en animation à l'École nationale supérieure des arts décoratifs. 

Dès 2006, elle commence à raconter son expérience d'enfant durant la guerre, notamment dans ses deux premiers albums (Beyrouth) Catharsis et 38, rue Youssef Semaani, qui marquent son entrée dans le monde de la bande dessinée. Parmi ses œuvres les plus notables figure Mourir, partir, revenir – Le jeu des hirondelles (2007), un récit autobiographique retraçant une nuit particulière de la guerre, vue à travers les yeux d'une enfant. Ce livre, sélectionné au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, a été traduit dans plusieurs langues.

En 2015, elle publie Le Piano oriental, un récit marquant qui mélange fiction et histoire familiale puisque nous suivons son grand-père, inventeur d'un piano capable de jouer à la fois des quarts de ton orientaux et des demi-tons occidentaux, symbole d’un dialogue entre deux cultures. Ce livre a reçu de nombreuses distinctions, tant pour la profondeur de son récit que pour la qualité de son graphisme. 

En 2016, elle est décorée Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. 

En 2018, elle publie Prendre refuge, un roman graphique co-écrit avec Mathias Énard, qui tisse des liens entre deux époques et deux histoires d’amour, au cœur d’un Afghanistan en guerre.

En 2023, elle illustre le célèbre texte Le Prophète de Khalil Gibran. À travers cette œuvre, elle offre une nouvelle interprétation visuelle du texte poétique et philosophique de Gibran, en utilisant son style graphique singulier pour mettre en lumière les réflexions intemporelles sur l'amour, la liberté et la spiritualité.

Parrain : Benoît Vanderose, professeur à la Faculté d’informatique 

Marraine : Sephora Boucenna, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation et de la formation

Benoit-Vanderose-Zeina-Abirached-Sephora-Boucenna

Le mot de son parrain

« Des sons dessinés, des émotions matérialisées : une réelle poésie graphique »

Deux questions à Benoît Vanderose, professeur à la Faculté d’informatique et parrain de Zeina Abirached dans le cadre des Docteurs Honoris Causa.

Qu’est-ce qui vous parle particulièrement dans le travail de Zeina Abirached ?

Avant tout, c’est au niveau formel que ce travail est frappant. Un style graphique reconnaissable au premier coup d’œil ! Puis, lorsqu’on se penche sur les détails, c’est un fourmillement d’inventivité qui nous immerge dans l’univers de l’autrice. Des sons dessinés, des émotions matérialisées : une réelle poésie graphique. On est happé. Une fois à l’intérieur de cet univers monochrome, c’est à des récits touchants, une ouverture sur d’autres vécus, d’autres destins, d’autres réalités que l’on est invité. Un voyage qui nous questionne sur notre propre parcours, sur la chance que nous avons d’avoir évité certaines épreuves, sur ce que nous aurions pu gagner à en traverser d’autres.

Quels liens percevez-vous entre les milieux artistiques et académiques ?

Je pense qu’enseignants et artistes partagent en grande partie une même vocation, celle de la transmission des savoirs dans toute leur diversité. L’obscurantisme, c’est « l’opposition à la diffusion de l'instruction, de la culture, au progrès des sciences » et tant le milieu académique que le milieu artistique sont de fervents adversaires de cette vision étriquée du monde. Dans ce sens, je crois effectivement que l’on peut considérer les artistes telles que Zeina Abirached comme des collègues apportant sur d’autres fronts une sensibilité complémentaire, une approche alternative, mais menant bel et bien avec nous cette bataille contre l’obscurantisme. Et au regard de la situation alarmante dans laquelle se trouve notre monde, cette alliance me semble plus souhaitable que jamais.

Discours officiel de la Rectrice, Annick Castiaux, prononcé lors de la Cérémonie officielle de rentrée académique. 

Epitoges des DHC 2024

Cet article est tiré de la rubrique "Impact" du magazine Omalius #34 (Septembre 2024).

Une Omalius septembre 2024