La notion de bien commun se trouve au centre du débat public au sujet de la préservation de notre planète et de la gestion de ses ressources naturelles. Et c’est normal : dans un monde en transition et en conflit, qui fait face à de multiples crises, se pose la question de la manière dont les ressources planétaires sont gérées et partagées. Depuis deux ans, la Chaire Notre-Dame de la Paix de l’UNamur apporte un regard sur cette problématique en interrogeant la notion de bien commun et en partageant ses réflexions avec le public. Après avoir invité autour de la table économistes, philosophes, juristes, politologues… pour questionner à la fois le fond (gestion des ressources en eau, des territoires…) et la forme (comment faire communauté autour de biens communs ? Quel système économique ?), la conférence du 25 avril était consacrée à l’espace, ce territoire infini dont on mesure à peine l’immensité depuis notre planète.  

André Füzfa, astrophysicien et cosmologiste à l’UNamur, a replacé l’aventure spatiale dans sa réalité physique et retracé les grandes lignes de son évolution. Depuis les années 50, les activités humaines se sont en effet diversifiées et privatisées : entre observation, exploration, défense, business et tourisme, c’est une véritable industrie qui tourne à plein régime, avec 546 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour le secteur spatial en 2022. 

André Fuzfa

D’autres chiffres interpellent à l’heure du dépassement des limites planétaires : pour chaque kilo envoyé sur la Station Spatiale Internationale, les lanceurs ont une consommation équivalente à celle de 33 voitures d’une tonne, et un coût de 10 000 dollars par kilo… A contrario, nous nous félicitons du transfert dans la société civile d’innovations résultant des technologies mises au point dans le cadre des activités spatiales, devenues désormais banales dans notre quotidien : navigation GPS, panneaux solaires, dispositifs pour la purification de l’eau ou encore couvertures de survie... Comment faire la part des choses dans cette aventure qui fascine autant qu’elle interroge ? Une exploration durable et éthique est-elle possible ?  

Annick Castiaux, physicienne et experte dans le domaine du management de l’innovation, a interrogé les principes du « New Space », cette économie émergente qui bénéficie d’innovations radicales dans la technologie des lanceurs spatiaux, avec pour conséquence une réduction des coûts et une augmentation du nombre de lancements vers l’espace. 

Annick Castiaux Rectrice

« Cette économie est basée sur le développement de nouveaux produits et de nouveaux services venant de la convergence des technologies numériques et spatiales. […] Le New Space est avant tout un espace commercial dans lequel sphère publique et sphère privée se rejoignent dans une contractualisation ». Avec une plus grande démocratisation de l’accès à l’espace ? A. Castiaux porte un regard critique : « On peut s’interroger sur une course au développement spatial par les nations riches, qui reproduisent dans l’espace les inégalités sur Terre ». L’Humanité exporte également la problématique d’une consommation et d’un développement technologique responsables : « La surenchère des satellites dans l’espace est directement liée à notre hyperconsommation numérique sur Terre. Cela interroge nos propres usages et notre sobriété ». Une analyse qui souligne l’importance pour les sciences humaines et sociales de s’emparer du sujet et de proposer une approche pluridisciplinaire et multiculturelle du développement spatial, qui inclue des notions d’éthique, d’inclusion et de justice économique, sociale et environnementale. 

C’est à cette fin que le panel d’experts était complété par Jacques Arnould, historien, théologien et premier éthicien au monde recruté par une agence spatiale nationale, le Centre National d’Études Spatiales (Paris). J. Arnould a rappelé les lignes directrices qui devraient guider l’exploration spatiale. « Dès les années 60, un corpus juridique de droit spatial international a été constitué. Les principes qui le fondent sont des principes de bien commun et de non-appropriation de cet espace ». Dans le Traité sur l’espace des Nations Unies, signé en 1967, il est précisé que les corps célestes ne peuvent faire l’objet d’appropriation nationale, par aucun moyen. « L’exploration et l’exploitation des ressources de la Lune, par exemple, sont définies comme étant l’apanage de l’Humanité dans son ensemble, dans l’intérêt des générations actuelles et futures ». Mais aujourd’hui, que fait-on de ce droit ? « On constate des velléités pour affirmer la défense des intérêts nationaux en matière d’extraction des ressources dans l’espace, sous l’administration Obama en 2015 par exemple. […] Il y a donc des questions de nouvelles gouvernances qui sont à inventer, dans l’esprit du droit spatial initié dès les années 60 et 70 ». Les acteurs du domaine sont aussi conscients des risques d’une exploitation débridée du cosmos, sans régulation. L’espace reste en effet un territoire hostile, où l’on peut être la victime de ses propres agissements. « Les acteurs du domaine spatial sont conscients des dangers. Ils sont les premiers à les subir. Ils doivent donc réfléchir à comment agir ensemble pour le bien de chacun et de tous ». Les trois intervenants ont conclu l’échange sur une certitude : celle de la nécessité absolue pour l’Humanité de relever, ensemble, les défis sociaux, sociétaux et environnementaux de la conquête spatiale pour gérer, de manière responsable et durable, ce « bien le plus commun à tous ». 

La Chaire Notre-Dame de la Paix

La Chaire Notre-Dame de la Paix est une initiative pilotée par la professeure Laura Rizzerio au sein du centre de recherche Notre-Dame de la Paix de l’UNamur (cUNdp). Financée grâce à un mécénat privé, elle propose de nombreuses activités d’enseignement et de recherche sur la thématique du bien commun. 

Logo Centre Universitaire Notre-Dame de la Paix

L’UNamur relève le défi spatial au sein d'UNIVERSEH

La thématique de la conférence rejoint les préoccupations de l’alliance européenne European Space University for Earth and Humanity (UNIVERSEH) qu’elle a rejoint en 2022. Aux côtés de 6 partenaires universitaires, l’UNamur y apporte l’expertise multidisciplinaire de ses membres pour relever les défis découlant de la politique spatiale européenne et, notamment, pour construire une offre de programmes d’enseignement conjoints.