La démocratie n’a rien d’un concept figé. Elle fait débat, surtout aujourd’hui. Louis Carré, directeur du Département de philosophie et membre de l’Espace philosophique de Namur (Institut ESPHIN), en propose une définition en trois dimensions : un régime politique, un état de droit et une manière de faire société.

Le concept de démocratie : entre pouvoir du peuple et centralisation

« Étymologiquement, la démocratie est un régime politique qui consiste à donner le pouvoir au peuple », rappelle-t-il. « Nos démocraties occidentales reposent aujourd’hui sur l’idée que le peuple est souverain, sans pour autant gouverner directement. De là naît une tension entre la démocratie idéale et la démocratie réelle. » Vincent Jacquet, professeur au Département des sciences sociales, politiques et de la communication et président de l’Institut Transitions appuie le propos : « La démocratie est un idéal d’autogouvernement des citoyens, mais il est en tension avec des logiques plus centralisatrices, plus autoritaires. […] Nos systèmes politiques sont traversés par ces différentes tensions, avec à la fois des logiques autoritaires de plus en plus présentes, y compris chez nous, et des logiques de participation qui s’accompagnent parfois de beaucoup d’espoir et de déception aussi. »

Deuxième pilier selon Louis Carré : l’État de droit. La démocratie garantit les droits fondamentaux de tous les citoyens par la constitution. Mais là encore, gare aux paradoxes : « On pourrait en effet imaginer des lois prises par la majorité des représentants ou par un référendum, mais qui contreviennent aux droits fondamentaux », souligne le philosophe. La démocratie ne peut donc se résumer au seul principe majoritaire.

Enfin, la démocratie est également une manière de faire société. Elle repose sur un réel pluralisme : diversité des opinions, des croyances et des valeurs. « Cela suppose l’existence d’un espace public relativement autonome face au pouvoir en place qui, par moment, conteste les décisions prises par les gouvernements qui ont été élus », insiste Louis Carré.

La méfiance des citoyens vis-à-vis du politique n’est, à ce titre, pas nécessairement un symptôme de crise démocratique. Elle peut même en être un signe de vitalité, comme l’explique Vincent Jacquet : « Le fait que les citoyens soient critiques envers leur gouvernement n’est pas forcément négatif parce que, dans une démocratie, les citoyens doivent pouvoir contrôler les actions des gouvernants ».

Photo de Vincent Jacquet
Vincent Jacquet

Former les gouvernants… et les gouvernés

Dans ce contexte, quelle est la responsabilité de l’université ? Louis Carré rappelle d’abord une réalité simple : une grande partie de nos élus sont passés par les bancs de l’université. Mais sa mission d’enseignement ne s’arrête pas là. « Il s’agit de former des citoyens éclairés, pas seulement des gouvernants. Les universités doivent offrir un enseignement supérieur de qualité, ouvert au plus grand nombre », affirme-t-il.

« La démocratie suppose en effet des citoyens capables de débattre, de réfléchir, de problématiser les enjeux », complète Sephora Boucenna, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation et de la formation et membre de l’Institut de Recherches en Didactiques et Éducation de l’UNamur (IRDENA). Il s’agit donc de former des esprits réflexifs, aptes à interroger leur époque.

Former des enseignants réflexifs, pour des citoyens critiques

L’université forme également ceux qui, demain, éduqueront les générations futures : les enseignants. Et là encore, la démocratie est en jeu.

 « Notre mission est de former des enseignants réflexifs qui, eux-mêmes, apprendront à leurs élèves à penser de manière critique », insiste Sephora Boucenna. Cela passe par un travail en profondeur sur l’analyse de pratiques, la construction collective et l’apprentissage du débat, dès la formation initiale des enseignants jusqu'à leur formation continue. 

Sephora BOUCENNA
Sephora Boucenna

Produire et diffuser du savoir… en toute indépendance

Outre l’enseignement, l’université a également une mission de recherche et de service à la société. Elle produit des savoirs qui peuvent éclairer les politiques publiques, mais aussi les questionner. Cette fonction critique suppose une indépendance réelle vis-à-vis du politique. « Pour analyser avec lucidité les mécanismes démocratiques, y compris ceux que les gouvernements mettent en place, il faut que l’université garde sa liberté de recherche et de parole », souligne Vincent Jacquet.

 

Louis Carré va plus loin : « Comme la presse, l’université est une forme de contre-pouvoir dans l’espace public ». Il précise par ailleurs qu’« il y a une confusion entre liberté d’opinion et liberté académique. Les savoirs universitaires passent par une série de procédures de vérification, d’expérimentation, de discussion au sein de la communauté scientifique. Cela leur donne une robustesse qui n’est pas celle d’une opinion, d’une valeur, d’une croyance. » 

Louis Carré
Louis Carré

Cette fonction critique de l’université suppose donc une indépendance forte. Or, en Belgique, le financement des universités relève largement du pouvoir politique. « Celane doit pas signifier une mise sous tutelle », alerte Louis Carré. « Mener des recherches critiques, qui ne satisfont pas à court terme des commanditaires, demande une indépendance, y compris de moyens. Il faut des chercheurs en nombre qui puissent analyser différents types de dynamiques. Plus on coupera dans les finances de la recherche, comme c’est le cas aujourd’hui, moins on aura de chercheurs et donc de capacité d’analyse indépendante et de diversité des perspectives », insiste Vincent Jacquet.

Le mouvement « Université en colère », récemment lancé au sein des universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles, entend dénoncer les effets du définancement. Ses représentants appellent à « garantir les conditions de développement d’une université ouverte, indépendante, de qualité et accessible au plus grand nombre. Face aux défis sociaux, économiques et politiques de notre temps et parce que d’autres choix de société, et donc budgétaires, sont possibles, il est plus que jamais essentiel de renforcer les institutions et les acteurs au cœur de la production du savoir. » 

Entre vigilance et engagement : un lien à réinventer

La démocratie ne se limite donc ni aux élections ni aux institutions. Elle repose sur une vigilance collective, portée par les citoyens, les savoirs… et les lieux où ces savoirs se construisent. À ce titre, l’université apparaît comme un maillon essentiel de la vitalité démocratique. À condition de rester indépendante, accessible et ouverte sur la société.

« La démocratie, ce n’est pas seulement une affaire d’institutions. C’est l’affaire de citoyens qui la font vivre et qui s’organisent pour faire valoir leurs perspectives à différents moments », insiste Vincent Jacquet. Une invitation claire à ne pas rester spectateur, mais à participer, avec lucidité et exigence, à la construction d’un avenir démocratique commun.

Une année académique, placée sous la thématique de la démocratie

Retrouvez le discours prononcé par la Rectrice Annick Castiaux lors de la Cérémonie de rentrée académique 2025-2026.

Discours de la Rectrice à la Cérémonie de rentrée académique 2025-2026

Cet article est tiré de la rubrique "Enjeux" du magazine Omalius #38 (Septembre 2025).

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