Cet article est tiré de la rubrique "Impact" du magazine Omalius de juin 2024.

Omalius : Quand êtes-vous tombé dans la « marmite » de l’égyptologie ? 

René Preys : Je suis un égyptologue passionné par la culture pharaonique depuis mon plus jeune âge. J'ai toujours voulu étudier cette culture. Comme étudiant, je me suis inscrit en philologie orientale dont l'égyptologie faisait partie et qui se concentrait sur l'écriture, la lecture des textes, etc. 

Photo de René Preys devant des hiéroglyphes

Ce qui m'a intéressé ensuite, c'est la religion égyptienne, la mythologie, la vie dans les temples, l'architecture et la décoration de ceux-ci. L’égyptologie est très large. Chaque étudiant intéressé par l'Égypte peut dès lors trouver son « dada » dans ce choix d’études : les textes, la céramique, la statuaire, l'art, les temples, les papyrus. 

Pour moi, c'est la religion égyptienne et particulièrement la religion des temples qui me passionne : la vie rituelle, comment fonctionnait le temple, ce qu’on y faisait. Les temples égyptiens avaient aussi un aspect économique, puisqu’ils géraient des champs, des vergers, des boulangeries, des boucheries. Les temples égyptiens, c'est une histoire de plus de 3000 ans !

O. : Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à l’alimentation des Égyptiens ? 

R.P. : Je participe à un projet de recherche financé par le prestigieux programme EOS (Excellence Of Science) du FNRS. J’y travaille avec plusieurs chercheurs belges et internationaux. Nous nous concentrons sur l’époque gréco-romaine en Égypte puisque des restes de nourriture ont été retrouvés lors de fouilles menées dans une ville de l’époque romaine. Conservés grâce au climat sec et chaud égyptien, on les passe au crible pour en définir la valeur nutritionelle. On a souvent tendance à penser que les personnes de l’Antiquité se nourrissaient mal. Mais cette idée se fonde sur la valeur nutritionnelle que nous connaissons aujourd’hui, on compare des choses qui ne sont pas comparables. Nous ne préparons et nous ne conservons pas notre nourriture aujourd’hui comme on le faisait dans l’Antiquité. Le consortium comprend des chercheurs en chimie qui vont, notamment, analyser la valeur nutritionnelle de ces restes de nourriture. 

En parallèle, il faut aussi comprendre ce que les Égyptiens mangeaient et en quelle quantité. C’est cet aspect qui va concerner les chercheurs de l’UNamur. Nous allons analyser les textes hiéroglyphiques sur les temples et dans les tombes. Nous allons établir le menu des Égyptiens ! Et nous pourrons comparer les résultats obtenus à l’alimentation moderne. Dans le cadre du projet EOS, nous avons accueilli en avril plusieurs chercheurs internationaux de renom dans le cadre d’un colloque consacré au rôle du poisson dans l’Égypte antique. En effet, le poisson n’était pas seulement utilisé dans l’alimentation. On l’employait aussi comme offrande aux dieux, par exemple. Encore un thème de recherche étonnant et peu connu sur l’Égypte. 

O. : On ne sait donc pas encore tout de l’Égypte antique ?

R.P. : En effet ! L'Égypte est éternelle, les bâtiments construits il y a des milliers d’années sont toujours là. L'égyptologie, aussi, est éternelle. De nouveaux sujets de recherche apparaissent régulièrement, de nouveaux points de vue qu'on analyse par rapport aux textes anciens, les résultats de fouilles anciennes peuvent être analysés avec des techniques modernes par exemple. L'égyptologie a 200 ans. Elle est née lors du déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion en 1823, mais il y a sans cesse de nouveaux sujets d’étude : l’alimentation, qui fait l’objet de notre projet de recherche EOS, ou encore le climat. On essaie, ainsi, d'établir comment des changements climatiques peuvent expliquer des évènements ayant marqué l’histoire de l’Égypte : les changements d’Empires pharaoniques, par exemple, peuvent s’expliquer par des crises économiques liées à des fluctuations dans le comportement du Nil. L’inondation du fleuve était nécessaire à la production de blé. Sans crue, pas de rendement agricole suffisant pour nourrir la population. 

O. : Un nouveau laboratoire en archéologie a vu le jour à l’UNamur, pouvez-vous nous en dire plus ? 

R.P. : C’est le LASA, le Laboratoire d’Archéologie et des Sciences de l’Art. Il a été créé récemment au sein du Département d’archéologie et des sciences de l’art. Il est dédié à l’étude du patrimoine mobilier. Nos étudiants y sont en contact direct avec le matériel archéologique. Le département ne veut pas se limiter aux cours ex cathedra mais donne dans son enseignement une grande importance à la pratique sur le terrain via des stages et des voyages, et donc aussi via ce nouveau laboratoire. Il comprend de la statuaire en bois, du vitrail, de la céramique, des objets en granit ou en calcaire. On a beaucoup de chance d’avoir, au sein du département, des spécialistes de multiples disciplines : l'architecture, l'art, la technologie, les matériaux etc. Nos étudiants sont confrontés à tous les aspects de l'archéologie et des sciences de l'art. Ce métier auquel ils se préparent, ce n'est pas rester dans son coin, c'est examiner le sujet de recherche sous toutes les coutures. Nos étudiants apprécient beaucoup de ne pas être enfermés tout le temps dans leur local de cours.

En savoir plus sur la recherche au Département d’archéologie et des sciences de l’art

O. : Depuis peu, vous codirigez l’Association égyptologique Reine Élisabeth. De quoi s’agit-il ?

R.P. : C’est une association rassemblant les égyptologues belges, créée il y a près de 100 ans par Jean Capart. 

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Photo de René Preys devant des hiéroglyphes

Jean Capart, le « père » des égyptologues belges, a fait ses premières années d’études aux Facultés de Namur.

René preys Professeur

Cet égyptologue belge très célèbre a accompagné la Reine Élisabeth, épouse du Roi Albert 1er, lors de sa visite à la tombe du Pharaon Toutânkhamon. Ce qu’il faut savoir, c’est que Jean Capart, le « père » des égyptologues belges, a fait ses premières années d’études aux Facultés de Namur (UNamur actuelle). Les études en égyptologie n’existaient pas en Belgique il y a cent ans, il est donc allé étudier à Paris. En revenant en Belgique, il a créé la toute première chaire en égyptologie. Il a aussi été conservateur de la section égyptologique des Musées royaux d'art et d'histoire à Bruxelles. L’association égyptologique Reine Élisabeth a un objectif scientifique. Créer des échanges entre chercheurs, publier des articles scientifiques, ainsi qu’un objectif davantage axé vers le grand public : faire rayonner l’Égypte au travers d’expositions, de conférences, etc.

O. : Vous combinez des charges d’enseignement et de recherche. Vous vous rendez régulièrement en Égypte ?

R.P. : Combiner le rôle de professeur et l'aspect scientifique, c'est évidemment un challenge. Mais je parviens à me rendre en Égypte au moins une fois par an, pendant une durée d’un mois. J’y travaille sur différents sites archéologiques. Je réalise des recherches sur trois temples en particulier : le grand temple du dieu Amon à Karnak, tout d’abord. C’est le plus imposant et le plus connu d’Égypte, géré par le Centre franco-égyptien de l'Étude des Temples de Karnak. Je travaille également avec une équipe suisse et allemande sur le temple de Kôm Ombo, de l'époque gréco-romaine. Enfin, le dernier site, et c’est mon préféré, est le temple de Dendérah. Il est dédié à la déesse Hathor, déesse de l'amour et de la fertilité. Elle est également considérée comme la mère du dieu solaire. Pour les Égyptiens anciens, elle jouait donc un rôle très important dans la continuation du cycle solaire. J'ai réalisé ma thèse de doctorat sur ce temple et j’ai désormais la chance de pouvoir y travailler en collaboration avec l'Institut français d'Archéologie orientale. 

Sophie Arc 

Le programme EOS - The Excellence of science

Le programme EOS vise à promouvoir la recherche conjointe entre les chercheurs de la communauté flamande et francophone en finançant des projets communs de recherche fondamentale (FNRS et FWO) dans toutes les disciplines scientifiques.

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Cet article est tiré de la rubrique "Expert" du magazine Omalius #33 (Juin 2024).

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